{"id":3833,"date":"2001-12-01T19:24:18","date_gmt":"2001-12-01T19:24:18","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=3833"},"modified":"2023-02-21T19:24:28","modified_gmt":"2023-02-21T19:24:28","slug":"decembre-2001-un-usage-de-la-licence-art-libre-copyleft","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/decembre-2001-un-usage-de-la-licence-art-libre-copyleft\/","title":{"rendered":"D\u00e9cembre 2001 – Un usage de la Licence Art Libre (Copyleft)"},"content":{"rendered":"\n

Il y a, entre ma pleine adh\u00e9sion \u00e0 la Licence Art Libre et ce qui fut depuis son origine ma pratique de l\u2019art, toute l\u2019imperceptible distance qui s\u00e9pare la morale de l\u2019\u00e9thique, l\u2019\u00e9diction d\u2019un discours organisant, collectif, le poids d\u2019une parole l\u00e9gif\u00e9rante ; disons donc que si, au fond, la fa\u00e7on dont jusqu\u2019ici je diffusais mes travaux n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 modifi\u00e9e par cet acquiescement aux r\u00e8gles du Copyleft, c\u2019est la nature de l\u2019\u00e9nonc\u00e9 qui en accompagne le cours qui est d\u00e9cisive. Ce qui, jusqu\u2019\u00e0 aujourd\u2019hui n\u2019\u00e9tait que la forme accidentelle, in\u00e9vitable cependant, d\u2019une inaptitude aux r\u00e8gles du jeu (et peu importe au fond qu\u2019elle soit le fruit d\u2019une radicalit\u00e9 h\u00e9ro\u00efque ou de la stupeur tremblante devant l\u2019invariabilit\u00e9 des rapports de force dans tous les groupes sociaux) devient alors une d\u00e9viation manifeste \u00e0 la violence que ces r\u00e8gles font \u00e0 l\u2019id\u00e9al d\u2019int\u00e9grit\u00e9 de tout artiste.<\/p>\n\n\n\n

La premi\u00e8re force attractive de la Licence Art Libre fut donc pour moi celle de l\u2019\u00e9nonc\u00e9 qui, au m\u00eame titre que l\u2019id\u00e9e d\u2019un roman n\u2019est pas un roman, fit d\u2019une simple circonstance un enjeu politique. Restait \u00e0 d\u00e9gager ce qui, dans la nature de cet \u00e9nonc\u00e9, pouvait \u00e0 son tour devenir mati\u00e8re de travail, \u00eatre susceptible de se fixer plus loin que la membrane sociale et politique, \u00e0 la p\u00e9riph\u00e9rie des \u0153uvres, et devenir \u00e0 son tour objet d\u2019atelier ou, mieux encore, machine de production.<\/p>\n\n\n\n

Les articles 2.1 et 2.2, relatifs \u00e0 la libert\u00e9 de copie et de diffusion, de ce point de vue, tiennent plus de la profession de foi aimable que de la r\u00e9forme ou de l\u2019invention ; bien entendu, on n\u2019a pas attendu le copyleft pour se rendre disponible un mod\u00e8le de libre \u00e9change et de reproduction ouverte des oeuvres : qu\u2019il s\u2019agisse de la revue situationniste Potlatch<\/em> qui invitait dans les ann\u00e9es 50 ses lecteurs \u00e0 reproduire et distribuer leurs exemplaires pour couper court \u00e0 toute tentative de collection, ou encore, en 1972, de l\u2019envoi de La langue slave<\/em> dans lequel Michel Vachey, pratiquant la version la moins civilis\u00e9e du cut-up, pr\u00e9cisait que sa \u201c pens\u00e9e n\u2019\u00e9tant ni l\u00e9gale ni d\u00e9pos\u00e9e, il n\u2019y a donc pour ce livre aucun d\u00e9p\u00f4t l\u00e9gal \u201d, j\u2019imagine que chacun pourrait compl\u00e9ter sans peine la liste de ces effractions faites \u00e0 l\u2019\u00e9conomie qui sont au travail dans l\u2019art moderne depuis un si\u00e8cle.<\/p>\n\n\n\n

Toute oeuvre d\u2019art est appel\u00e9e \u00e0 \u00eatre engouffr\u00e9e dans le vaste domaine des plagiats ou des artisanats, de la citation plus ou moins abusive au mastic destin\u00e9 \u00e0 combler l\u2019imagination sid\u00e9ralement lacunaire des publicitaires; toute grande oeuvre finit t\u00f4t ou tard par devenir un pot de chambre fleuri entre les mains d\u2019un public dont la moindre qualit\u00e9 est d\u2019avoir le go\u00fbt exclusivement posthume ; et, surtout, quand un artiste se soucie lui-m\u00eame avec trop d\u2019empressement de prot\u00e9ger ses oeuvres contre la duplication, c\u2019est qu\u2019il pr\u00e9c\u00e8de la nature artisanale de son oeuvre en supposant que sa reproductibilit\u00e9 en ruinerait le sens. En v\u00e9rit\u00e9, la pratique de l\u2019art se d\u00e9finissant principalement dans la sph\u00e8re de l\u2019invention du sujet pour lui-m\u00eame \u2014 par cette effectuation en \u201c\u00a0agr\u00e9gats sensibles1<\/sup>\u00a0\u201d des liens singuliers qu\u2019il tisse avec le monde pour se le rendre habitable \u2014 on comprend ais\u00e9ment que sa reproduction ne met en p\u00e9ril que l\u2019int\u00e9grit\u00e9 du copieur, qui y perd tout ce que l\u2019art pourrait lui offrir d\u2019enrichissement ; c\u2019est l\u2019emprunteur qui y laisse sa substance, pas le cr\u00e9ateur.<\/p>\n\n\n\n

C\u2019est surtout en tant que structure participative et projet\u00a0territorial<\/em>\u00a0bien plus que comme plate-forme d\u2019\u00e9changes que m\u2019int\u00e9resse le Copyleft ; ceci a fortiori parce que cette derni\u00e8re proposition, la disponibilit\u00e9 des banques inertes, est bas\u00e9e sur l\u2019actuel mod\u00e8le communiquant, dont la conception du monde et de la place du sujet dans celui-ci ont sur l\u2019art des effets assez d\u00e9sastreux pour le pi\u00e9ger syst\u00e9matiquement dans la sociologie2<\/sup> (il s\u2019agit, ni plus ni moins, d\u2019un charlatanisme de l\u2019unit\u00e9 mystique, de l\u2019immanence des universaux suppos\u00e9s du discours qui habiterait cet \u201c\u00a0\u00eatre\u00a0\u201d dont l\u2019humain est le berger. Cette apparente g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 a surtout pour mission d\u2019aplanir toutes les singularit\u00e9s au profit d\u2019une uniformisation des \u00e9nonc\u00e9s, qui camoufle mal que sous le terme d\u2019ouverture s\u2019abrite un fantasme solide des \u00e9quivalences).<\/p>\n\n\n\n

J\u2019ai pour ma part, \u00e0 ce jour, puis\u00e9 dans la Licence Art Libre par deux fois\u00a0pour y trouver un mod\u00e8le de grammaire (un mod\u00e8le ergologique), dans lequel le Copyleft toucha, pour la premi\u00e8re, \u00e0 la diffusion et \u00e0 l\u2019usage du concept philosophique comme objet modulaire et transformable \u2014 ce fut la publication des actes du\u00a0colloque De l\u2019humour lib\u00e9ral ou l\u2019invention de l\u2019idiot moderne<\/em>3 <\/sup>\u2014 et, dans la seconde, de la partition ouverte \u2014 la r\u00e9alisation du CD\u00a0Strabisme<\/em>\u00a0avec Vincent Matyn \u2014, sans vraiment me pencher sur le libre-service des \u00e9l\u00e9ments (mod\u00e8le logistique), qui n\u2019invente \u00e0 mon sens aucune nouvelle donne artistique par rapport au collage, au cut-up ou encore au brassage des samples (il s\u2019agit, je le r\u00e9p\u00e8te, d\u2019une conclusion purement technologique, qui ne tient pas compte de l\u2019importance que j\u2019accorde \u00e0 l\u2019\u00e9nonc\u00e9 qui suppose un\u00a0entretien<\/em>\u00a0entre la source et l\u2019usager). Il s\u2019est agit pour moi de privil\u00e9gier l\u2019aspect dynamique qui conduit, \u00e0 chaque aventure du mat\u00e9riau, \u00e0 devoir le repenser enti\u00e8rement dans sa nature m\u00eame, plut\u00f4t qu\u2019\u00e0 en d\u00e9fendre l\u2019usage libre (qu\u2019est-ce que signifierait, d\u2019ailleurs, cet emploi-l\u00e0 du Copyleft pour le producteur que je suis, disposition largement redondante en regard de l\u2019infinie variation des possibles de la d\u00e9j\u00e0 disponible banque des donn\u00e9es sur lesquelles se b\u00e2tit toute oeuvre d\u2019art? Si la place du sujet doit rester pr\u00e9pond\u00e9rante, c\u2019est bien en termes dynamiques qu\u2019il faut l\u2019entendre, ceux de la production elle-m\u00eame, et non ceux de l\u2019outillage\u00a0: l\u2019objet produit, l\u2019oeuvre, comme le mat\u00e9riau, n\u2019ayant d\u2019autre valeur que testimoniale pour le trajet qui le pr\u00e9c\u00e8de, il est, conceptuellement \u2014 et peut-\u00eatre artistiquement \u2014, vide).<\/p>\n\n\n\n

Ainsi, la libre disposition du code source pour le livre\u00a0De l\u2019humour lib\u00e9ral ou l\u2019invention de l\u2019idiot moderne<\/em>, est une tentative de renouement avec la pratique du commentaire telle qu\u2019elle \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 en cours dans la grande biblioth\u00e8que d\u2019Alexandrie\u00a0: rouvrir les parenth\u00e8ses de Z\u00e9nodote d\u2019\u00c9ph\u00e8se (biblioth\u00e9caire, 320-240 av. J.C.) et \u2014 comme s\u2019accumulaient sur les trop rares et trop chers volumen textes originaux, commentaires, notes, gribouillis, palimpsestes h\u00e2tifs \u2014, laisser se creuser le texte de vacuoles pr\u00eates \u00e0 accueillir les fils enchev\u00eatr\u00e9s de pens\u00e9es encha\u00een\u00e9es aux concepts \u00e9tablis dans le texte liminaire. L\u2019aventure d\u2019un concept, s\u2019il est vraiment ce noyau radical de l\u2019invention philosophique et que cette invention est bien la d\u00e9finition-m\u00eame du travail philosophique,\u00a0est vou\u00e9e \u00e0 la mise \u00e0\u00a0l\u2019\u00e9cart<\/em>\u00a0: il devient objet, et comme tel finit par rejoindre un vaste plan de travail o\u00f9 r\u00e8gne l\u2019indistinction. Mais, ainsi saisi dans le corps de son texte g\u00e9niteur soumis au Copyleft, sans qu\u2019il doive le quitter pour se perdre dans l\u2019ex\u00e9g\u00e8se, il peut devenir mati\u00e8re vive\u00a0:\u00a0sujet<\/em>. La contradiction, le contre-argument, l\u2019\u00e9tayage, l\u2019\u00e9claircissement ou l\u2019\u00e9clairage, viendront, de refonte en refonte, le f\u00e9conder dans une mitose infinie, laissant derri\u00e8re ces \u00e9tapes autant d\u2019\u00e9tats du texte qu\u2019il y aura eu d\u2019\u00e9tape pour la pens\u00e9e, pour l\u2019usage des concepts d\u00e9gag\u00e9s pas \u00e0 pas de la premi\u00e8re mouture. Nous assisterons ainsi \u00e0 un double d\u00e9veloppement, cas rare \u00e0 observer dans le cheminement des id\u00e9es, celui d\u2019une verticalit\u00e9 diachronique qui conduit \u00e0 une\u00a0somme<\/em>\u00a0d\u2019interventions, et celui d\u2019une horizontalit\u00e9 \u00e9clat\u00e9e, celle de la synchronicit\u00e9 des accaparements des concepts dans des voies diffuses et peut-\u00eatre contradictoires, paradoxales.<\/p>\n\n\n\n

\"\"<\/figure>\n\n\n\n

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