{"id":4102,"date":"2000-05-01T16:42:05","date_gmt":"2000-05-01T16:42:05","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=4102"},"modified":"2023-03-03T16:42:14","modified_gmt":"2023-03-03T16:42:14","slug":"mai-2000-les-artistes-sont-ils-une-minorite-visible","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/mai-2000-les-artistes-sont-ils-une-minorite-visible\/","title":{"rendered":"Mai 2000 – Les artistes sont-ils une minorit\u00e9 visible?"},"content":{"rendered":"\n

On appelle traditionnellement \u00ab\u00a0minorit\u00e9 visible\u00a0\u00bb un groupe social minoritaire et marginalis\u00e9, reconnaissable \u00e0 un signe distinctif, tel que la couleur de la peau (les noirs, les chinois, les arabes, etc.), une tradition culturelle ou religieuse sp\u00e9cifique (les Gitans, gens de la route, les juifs hassidiques, les coptes), un choix sexuel (les quartiers homosexuels de certaines villes, les modes vestimentaires gaies), une marginalisation forc\u00e9e (les ghettos juifs ou noirs), ou voulue (les t\u00e9moins de Jehova, et de nombreuses sectes), etc. Souvent, ces minorit\u00e9s rassemblent des gens venus d’ailleurs, comme les anciens esclaves, les populations d\u00e9port\u00e9es ou qui ont fui la guerre ou une catastrophe naturelle, ou des populations repouss\u00e9es en marge par un groupe dominant, dans des r\u00e9serves, dans les favellas, dans la montagne, etc. , ou qui se sentent exclus et qui s’organisent, comme les bandes de motards ou de jeunes dans les banlieues, et qui affichent leur appartenance \u00e0 des groupes ayant d\u00e9cid\u00e9 de vivre en marge, selon leurs propres lois, et souvent dans la violence et la rivalit\u00e9. D’autres ont fait un \u00ab\u00a0choix de soci\u00e9t\u00e9\u00a0\u00bb, qui les rend reconnaissables, tels les hippies des ann\u00e9es 60, les beatniks, les punks, etc.<\/p>\n\n\n\n

La plupart du temps, ces minorit\u00e9s visibles subissent une discrimination sociale, voire politique ou \u00e9conomique. Les majorit\u00e9s sociales ont toujours peur des diff\u00e9rences et rejettent ceux qui en portent la marque visible. Certains affichent cependant comme une fiert\u00e9 cette diff\u00e9rence (coiffure ou v\u00eatements afro, mode rave, etc.). Les artistes, de fa\u00e7on g\u00e9n\u00e9rale, n’appartiennent \u00e0 aucune de ces cat\u00e9gories et ne constituent pas un groupe solidaire. Ils sont pour cela trop individualistes. Mais ils affirment leur diff\u00e9rence comme voulue, – non subie – et sup\u00e9rieure au commun des mortels. Ils ont en g\u00e9n\u00e9ral une haute estime d’eux-m\u00eames. Pourtant, ils cultivent ou subissent un \u00e9cart marqu\u00e9 par rapport aux modes d’int\u00e9gration sociale dominants.<\/p>\n\n\n\n

Pourquoi? La r\u00e9ponse est d’ordre id\u00e9ologique. Elle tient aux valeurs symboliques de l’art et \u00e0 son fonctionnement politique dans la soci\u00e9t\u00e9, traditionnellement au service de l’\u00c9glise, des princes et des classes dominantes, puis comme symbole d\u00e9clar\u00e9 de la cr\u00e9ativit\u00e9 du capitalisme bourgeois (l’id\u00e9ologie avant-gardiste). Les artistes se d\u00e9finissent comme des \u00ab\u00a0cr\u00e9ateurs\u00a0\u00bb s’identifiant ainsi \u00e0 la valeur supr\u00eame par excellence, le principal attribut de Dieu! Et ils veulent \u00e9ventuellement que \u00e7a se voit.<\/p>\n\n\n\n

Sont-ils artisans de talent ou artistes cr\u00e9ateurs : le jeu du langage, la diversit\u00e9 des pratiques et de l’affirmation des ego, adoucit souvent l’exc\u00e8s de cette r\u00e9f\u00e9rence symbolique fondamentale. Mais il en demeure toujours quelque chose, qui se refl\u00e8te au moins dans la volont\u00e9 d’originalit\u00e9 de l’artiste. L’originalit\u00e9 est une d\u00e9clinaison de la valeur de cr\u00e9ation, h\u00e9rit\u00e9e de l’id\u00e9ologie religieuse et progressiste. Est une cr\u00e9ation, ce qui est nouveau et donc unique, original. Les artistes cultivent donc les attitudes anti-bourgeoises, anti-classes moyennes, anti-conformistes dans leurs valeurs et dans leurs modes de vie. Ils exaltent la libert\u00e9, qu’elle soit de pens\u00e9e, vestimentaire ou sexuelle – l’une exprimant l’autre. Mais en m\u00eame temps, comme toute minorit\u00e9, ils tendent \u00e0 se rallier \u00e0 certains signes distinctifs communs, notamment vestimentaires et dans le style d’habitation (li\u00e9 aux exigences du travail en atelier). Cette libert\u00e9 est identifi\u00e9e \u00e0 la cr\u00e9ativit\u00e9, valeur supr\u00eame des artistes. Plusieurs, qui sont devenus riches gr\u00e2ce \u00e0 la vente de leurs oeuvres \u00e0 des prix \u00e9lev\u00e9s, continuent de s’habiller comme des paysans ou des ouvriers, avec vareuse et grosses chaussures – mythe du travail cr\u00e9ateur, contestation affich\u00e9e des valeurs conformistes de la bourgeoisie et d\u00e9sir, affich\u00e9 lui aussi, d’appartenance \u00e0 la communaut\u00e9 artistique, majoritairement pauvre. Cette pauvret\u00e9 peut m\u00eame \u00eatre comprise comme une marque d’authenticit\u00e9 de l’artiste.<\/p>\n\n\n\n

Les artistes sont volontiers solidaires des minorit\u00e9s visibles et des groupes sociaux exploit\u00e9s. Ils traitent de ces th\u00e8mes dans leur production, donnent des oeuvres pour des ventes publiques en faveur des pauvres, des exploit\u00e9s, des victimes de tous ordres. Ils s’en font souvent un devoir.<\/p>\n\n\n\n

Comment les traite la soci\u00e9t\u00e9? Peut-on les consid\u00e9rer comme une minorit\u00e9 visible?<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 quelques-uns, la soci\u00e9t\u00e9 r\u00e9serve honneurs, argent et femmes (comme le soulignait Freud). \u00c0 l’immense majorit\u00e9 d’entre eux, qui aspirent tout autant \u00e0 la reconnaissance sociale et \u00e0 la richesse, la soci\u00e9t\u00e9 offre des aides sociales, assez comparables \u00e0 celles institu\u00e9es pour les minorit\u00e9s visibles : bourses et subventions et petits m\u00e9tiers de survie. Les Conseils des arts constituent souvent l’\u00e9quivalent des organismes de bien-\u00eatre social pr\u00e9vus pour apporter une aide minimale aux plus d\u00e9favoris\u00e9s de la soci\u00e9t\u00e9. Les pouvoirs en place posent occasionnellement des gestes symboliques de reconnaissance de l’importance de l’art et des artistes, comme ils le font avec les autochtones, les membres de la communaut\u00e9 chinoise, les handicap\u00e9s, les femmes, ou les droits conjugaux des couples homosexuels.<\/p>\n\n\n\n

S’y ajoute une diff\u00e9rence notable : les honneurs supr\u00eames r\u00e9serv\u00e9s \u00e0 quelques artistes d\u00e9clar\u00e9s g\u00e9niaux, tels que les Prix, les Mus\u00e9es – v\u00e9ritables \u00e9glises vou\u00e9es au culte de l’art et des valeurs symboliques qu’il incarne – et les grandes commandes publiques. Il faut souligner aussi l’importance des expositions dans les galeries d’art d’un march\u00e9 disparate, allant de quelques hauts lieux \u00e9litistes \u00e0 une immense quantit\u00e9 de galeries artisanales, mais toutes invoquant explicitement la r\u00e9f\u00e9rence pr\u00e9tentieuse au g\u00e9nie.<\/p>\n\n\n\n

Certes, dans leur marginalit\u00e9, les artistes revendiquent un grand privil\u00e8ge : l’affirmation d’une signature individuelle, d’un nom, appelant \u00e0 \u00eatre reconnu. Une telle r\u00e9f\u00e9rence identitaire existe aussi parfois dans les minorit\u00e9s visibles, mais elle y demeure beaucoup plus rare, voire elle est compl\u00e8tement ni\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

Actuellement, les galeries d’art en ligne, connues seulement de quelques centaines d’artistes ou sp\u00e9cialistes, sans enjeu commercial, rel\u00e8vent d’un rituel minoritaire discret, de l’exploration d’un nouveau m\u00e9dium et d’un besoin de communication marginale compensatoire pour des artistes s’adressant \u00e0 eux-m\u00eames, mais cultivant le phantasme d’exister dans un r\u00e9seau virtuellement mondial.<\/p>\n\n\n\n

Il s’agit pour le moment d’un nouvel \u00e9quivalent de la New-York School of Correspondance Art<\/em> de Ray Johnson dans les ann\u00e9es 70, Fluxus en moins. Le d\u00e9veloppement de telles communaut\u00e9s internationales, en utilisant la poste ou l’Internet, et en parodiant les institutions de la soci\u00e9t\u00e9 r\u00e9elle, constitue un signe clair du besoin d’un groupe minoritaire et marginalis\u00e9 de s’instituer selon un simulacre social int\u00e9grateur et rassurant aux marges de la r\u00e9alit\u00e9 courante. Il est permis d’y d\u00e9celer le sympt\u00f4me d’un d\u00e9ficit d’appartenance \u00e0 la majorit\u00e9 et du besoin compensatoire de se reconna\u00eetre comme membres d’un groupe, f\u00fbt-il minoritaire et marginal, constituant une appartenance alternative avec un statut d’existence r\u00e9elle. Ce sont donc les artistes, qui se pensent souvent eux-m\u00eames comme une minorit\u00e9 visible, agissent comme tels et sont trait\u00e9s cons\u00e9quemment comme tels par la soci\u00e9t\u00e9 dominante, m\u00eame s’ils constituent un cas beaucoup plus ambigu que les autres groupes sociaux minoritaires. Il est vrai que chaque minorit\u00e9 visible est de fait un cas diff\u00e9rent.<\/p>\n\n\n\n

Faut-il cultiver en tant qu’artiste cette attitude de marginalit\u00e9 minoritaire? La r\u00e9ponse appartient \u00e0 chacun, selon son temp\u00e9rament et sa situation, mais \u00e0 coup s\u00fbr, je suis de ceux qui ont toujours fait l’\u00e9loge de la diff\u00e9rence et du p\u00e9riph\u00e9risme, sans cultiver pour autant l’opposition, ni la victimisation st\u00e9rile.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 l’\u00e9poque de la mondialisation, il est important de d\u00e9fendre les diff\u00e9rences, les minorit\u00e9s, les identit\u00e9s marginales et p\u00e9riph\u00e9riques. C’est un indicateur essentiel des valeurs d\u00e9mocratiques et de libert\u00e9, un moteur de cr\u00e9ativit\u00e9, un patrimoine pr\u00e9cieux, une richesse essentielle \u00e0 l’aventure humaine.<\/p>\n\n\n\n

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