{"id":4154,"date":"2000-03-01T14:39:47","date_gmt":"2000-03-01T14:39:47","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=4154"},"modified":"2023-03-06T14:40:00","modified_gmt":"2023-03-06T14:40:00","slug":"mars-2000-no-memory-un-entretien-avec-valery-grancher","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/mars-2000-no-memory-un-entretien-avec-valery-grancher\/","title":{"rendered":"Mars 2000 – No Memory \/ Un entretien avec Val\u00e9ry Grancher"},"content":{"rendered":"\n

L’entretien a \u00e9t\u00e9 r\u00e9alis\u00e9 au d\u00e9but de f\u00e9vrier 2000<\/p>\n\n\n\n

Bertrand Gauguet : De votre formation d’ing\u00e9nieur au fait de devenir artiste, pouvez-vous nous expliquer aujourd’hui ce qui a motiv\u00e9 votre cheminement, ce qui a d\u00e9termin\u00e9 votre d\u00e9cision?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Val\u00e9ry Grancher :\u00a0Je suis devenu ing\u00e9nieur par n\u00e9cessit\u00e9, de la m\u00eame fa\u00e7on que je n’ai jamais eu l’intention d’\u00eatre un jour artiste. Je suis devenu artiste un peu malgr\u00e9 moi: des\u00a0raves party<\/em>\u00a0en passant par mes exp\u00e9rimentations diverses, la vie m’a amen\u00e9 sur un terrain o\u00f9 mes activit\u00e9s ont acquis un statut dit artistique. Et c’est r\u00e9trospectivement que l’on s’en rend compte, bien qu’il n’y ait pas eu de programme pr\u00e9\u00e9tabli, ni de choix d\u00e9termin\u00e9s. Par ailleurs, du fait de ce v\u00e9cu, il est clair que mon travail se joue de ces contradictions et de ces oppositions.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

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Le titre de votre site\u00a0No Memory\u00a0<\/em>est en contradiction avec son contenu, c’est-\u00e0-dire une m\u00e9moire vive contenant les archives de vos projets, certaines de vos oeuvres, une page de liens vers des sites artistiques de votre \u00ab\u00a0communaut\u00e9\u00a0\u00bb, etc. Pourquoi marquer d’entr\u00e9e cette ambivalence avec cette notion fondamentale de la culture num\u00e9rique qu’est la m\u00e9moire?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

No memory<\/em>\u00a0a \u00e9t\u00e9 choisi comme titre pour bien marquer l’opposition entre la m\u00e9moire humaine et la m\u00e9moire num\u00e9rique. Des vieux clich\u00e9s persistent en pr\u00e9sentant la m\u00e9moire informatique comme plus fiable que la m\u00e9moire humaine. Ce qui est d\u00e9fini comme stockage et accumulation a acquis le statut de m\u00e9moire. C’est un contresens! La premi\u00e8re facult\u00e9 de la m\u00e9moire est l’amn\u00e9sie, l’oubli, la non r\u00e9manence. Que se passe-t-il en p\u00e9riph\u00e9rie des puits quantiques de l’oubli?… nous y voyons la fabulation, l’hallucination et le r\u00eave. La m\u00e9moire num\u00e9rique n’est nullement dou\u00e9e de cette facult\u00e9 si humaine!\u00a0No memory<\/em>\u00a0est un atelier ouvert o\u00f9 les internautes peuvent voir la gen\u00e8se des diff\u00e9rents processus interactifs h\u00e9berg\u00e9s, il n’est m\u00eame pas une archive et du fait de son statut, il se trouve d\u00e9j\u00e0 en contradiction avec la d\u00e9finition d’une m\u00e9moire digitale et num\u00e9rique. Et de la m\u00eame fa\u00e7on, du fait de sa nature propre, il est \u00e9galement en contradiction avec la d\u00e9finition de la m\u00e9moire humaine. C’est pour souligner cela que j’ai choisi ce titre.\u00a0<\/strong><\/a><\/p>\n\n\n\n

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Notre monde, aujourd’hui, est r\u00e9gi par deux logiques et deux modes de repr\u00e9sentation distincts: l’analogique et le num\u00e9rique. Quel votre positionnement en tant qu’artiste par rapport \u00e0 cette r\u00e9alit\u00e9 dualiste, par rapport \u00e0 votre production qui oscille d’une logique \u00e0 l’autre?\u00a0<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Je ne suis pas tout \u00e0 fait d’accord avec la d\u00e9finition d’une telle dualit\u00e9, le num\u00e9rique n’est qu’une repr\u00e9sentation parmi d’autres. Le langage n’a par exemple rien d’une repr\u00e9sentation analogique: c’est une forme de codage langagier d’une r\u00e9alit\u00e9 per\u00e7ue de la m\u00eame fa\u00e7on que le num\u00e9rique tend \u00e0 simuler ce qui est per\u00e7u analogiquement. Je pr\u00e9f\u00e8re parler d’une ph\u00e9nom\u00e9nologie englobant tous ces modes de repr\u00e9sentations. C’est justement ce que j’essaye de faire percevoir dans mon travail o\u00f9 il est souvent difficile de dissocier langage, num\u00e9rique et analogique. C’est un syst\u00e8me de repr\u00e9sentation ouvert. <\/p>\n\n\n\n

Dans\u00a0Autoportrait<\/em>\u00a0vous abordez les questions du genre et de l’identit\u00e9 sexuelle qui sont beaucoup trait\u00e9es par les th\u00e9ories sociologiques et la pens\u00e9e post-moderne. La condition de l’identit\u00e9 vous semble-t-elle particuli\u00e8rement modifi\u00e9e (ou alt\u00e9r\u00e9e) avec la communication des r\u00e9seaux? Vous parlez \u00e0 ce propos d’une identit\u00e9 collective…\u00a0<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Oui tout \u00e0 fait! Jusqu’\u00e0 pr\u00e9sent, on a toujours d\u00e9fini l’identit\u00e9 selon la combinaison de classes qui seraient stables: notre genre sexuel, notre classe socioculturelle, \u00e9conomique, etc… Je suis tr\u00e8s influenc\u00e9 par la pens\u00e9e ethnom\u00e9thodologique de Garfinkel qui consiste \u00e0 proposer la th\u00e8se selon laquelle l’individu se d\u00e9finit par r\u00e9flexivit\u00e9 au travers de son propre langage. C’est par les interactions langagi\u00e8res avec autrui que son identit\u00e9 va devenir dynamique. Le langage individuel peut se passer de mots, il peut s’agir d’attitudes propres, de regards ou encore de choses imperceptibles. La mondialisation a amen\u00e9 avec elle le nomadisme et la mise en r\u00e9seau, on peut imaginer ais\u00e9ment quel type d’interactions on peut avoir avec autrui en combinant les deux. Le fait que le r\u00e9seau s’organise sur la base de communaut\u00e9s li\u00e9es par des centres d’int\u00e9r\u00eats communs, sur une p\u00e9riode donn\u00e9e, donne naissance \u00e0 des identit\u00e9s collectives toujours plus fluctuantes et mouvantes. Des groupes \u00e9mergent sur les r\u00e9seaux, se d\u00e9placent, disparaissent se dissocient. Cela est fascinant, car la mise en r\u00e9seau permet une perception globale, voire mondiale de ces modes d’interactions individuelles. Au Japon on commence \u00e0 parler de nouveaux malaises tels que l’autisme social des otaku<\/em>, n’existant que sur les r\u00e9seaux, refusant tout contact langagier et physique dans le monde quotidien. C’est dans ce sens que l’identit\u00e9 dans ces nouveaux contextes peut \u00eatre alt\u00e9r\u00e9e, ce sont de nouvelles pathologies psychologiques qui apparaissent, de nouvelles obsessions et n\u00e9vroses.<\/p>\n\n\n\n

La psych\u00e9 qui se projette dans l’espace des nouveaux m\u00e9dias semble d’ailleurs particuli\u00e8rement vous pr\u00e9occuper. Pouvez-vous nous en dire un peu plus \u00e0 ce sujet?\u00a0<\/strong><\/p>\n\n\n\n

J’ai l’impression d’avoir d\u00e9j\u00e0 un peu r\u00e9pondu. Cependant, ce qui est tr\u00e8s int\u00e9ressant ce sont les phantasmes nourris en rapport avec ces technologies nouvelles. Ce qui m’int\u00e9resse le plus ce ne sont pas ces projections sur les nouveaux m\u00e9dias, mais plus la fa\u00e7on dont notre sph\u00e8re perceptuelle s’adapte et se modifie. On est amen\u00e9 \u00e0 percevoir les choses selon le principe d’ambivalence, de simultan\u00e9it\u00e9 ou de relativit\u00e9. Nos rep\u00e8res classiques sont \u00e9clat\u00e9s, il n’y plus de chemin lin\u00e9aire qui vaille. On est assis face \u00e0 un \u00e9cran, on est fix\u00e9 et en m\u00eame temps on se confronte \u00e0 des instants de 24h00 et \u00e0 des globalit\u00e9s. Je pense que nos repr\u00e9sentations mentales se trouvent alors influenc\u00e9es, on ne per\u00e7oit plus la m\u00e9moire de la m\u00eame fa\u00e7on, l’image r\u00e9flexive qui nous est renvoy\u00e9e amplifie nos traits dominants. Ce n’est ni plus ni moins que le mythe de Narcisse face \u00e0 la surface de l’eau.<\/p>\n\n\n\n

\"\"<\/figure>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

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