{"id":4245,"date":"1999-12-01T22:02:22","date_gmt":"1999-12-01T22:02:22","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=4245"},"modified":"2023-03-07T22:02:33","modified_gmt":"2023-03-07T22:02:33","slug":"decembre-1999-lart-est-il-jeu-doutes-sur-la-theorie-du-cyberart","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/decembre-1999-lart-est-il-jeu-doutes-sur-la-theorie-du-cyberart\/","title":{"rendered":"D\u00e9cembre 1999 – L’art est-il jeu? : Doutes sur la th\u00e9orie du cyberart"},"content":{"rendered":"\n
La tradition du cyberart est aussi riche dans sa pratique que dans sa litt\u00e9rature. Et certains ouvrages ont la vertu de nous offrir une synth\u00e8se \u00e0 la fois th\u00e9orique et historique de cette forme d’art bas\u00e9e sur le dialogue homme-machine.\u00a0La technologie dans l’art,<\/em>\u00a0d’Edmond Couchot en est un bon exemple, ainsi que l’ouvrage d’Olga Kisseleva,\u00a0Cyberart, un essai sur l’art du dialogue<\/em>, parus tous les deux en 1998. Ce dernier a la particularit\u00e9 de refl\u00e9ter de mani\u00e8re insistante, un discours propre au cyberart qui s’articule autour des notions de communication, de cr\u00e9ation collective, d’interactivit\u00e9, etc. Aux propres affirmations de l’auteure s’ajoutent aussi celles de nombreux th\u00e9oriciens et artistes rattach\u00e9s \u00e0 la tradition des arts m\u00e9diatiques. Cela dit, on est \u00e9tonn\u00e9 de constater \u00e0 quel point certains concepts font l’objet d’un consensus, des concepts qui, pourtant, ne semblent pas n\u00e9cessairement aller de soi ou, en tout cas, m\u00e9ritent d’\u00eatre remis en question. Une des notions consensuelles du cyberart tourne autour de l'\u00a0\u00bbexp\u00e9rience\u00a0\u00bb\u00a0: l’art bas\u00e9 sur les nouvelles technologies interactives suppose une implication active du spectateur au point o\u00f9 le processus dialogique l’emporterait sur l’identit\u00e9 des objets et des sujets mis en cause. Ainsi, le processus primerait sur le r\u00e9sultat. Or, cette conception du cyberart semble entrer en conflit avec celle, appartenant \u00e0 l’art traditionnel qui valorise autant les oeuvres que le jugement critique sur celles-ci. Nous allons donc d\u00e9battre de ces questions de l’identit\u00e9 et de l’exp\u00e9rience et tenter de d\u00e9montrer que la participation du spectateur se fait sur plusieurs niveaux. Notre d\u00e9marche est nourrie par le doute face au danger des consensus g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9s, source de normalisation des pratiques et des discours risquant de limiter un univers pourtant caract\u00e9ris\u00e9 par l’infinit\u00e9 des ses possibilit\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 travers les nombreux exemples d’oeuvres, de citations et de commentaires th\u00e9oriques, l’auteure cherche \u00e0 d\u00e9finir les caract\u00e9ristiques propres au cyberart. D’abord, gr\u00e2ce \u00e0 la virtualit\u00e9 du num\u00e9rique et de sa possible diffusion en r\u00e9seau, l’oeuvre cyberartistique est avant tout acte de communication. Celle-ci se distingue de toute autre forme d’art puisqu’elle est le lieu du dialogue incluant l’objet num\u00e9rique, les spectateurs et l’artiste. L’interactivit\u00e9 est donc incontournable lorsqu’on parle du cyberart. <\/p>\n\n\n\n Cela dit, une autre notion semble aussi incontournable, soit celle d'\u00a0\u00bbexp\u00e9rience\u00a0\u00bb, lorsque Kisseleva – et nombre d’auteurs \u00e0 qui elle fait r\u00e9f\u00e9rence – par le d’interactivit\u00e9. Ce nouvel art de l’interactivit\u00e9 a transform\u00e9 la perception contemplative en exp\u00e9rimentation : \u00ab\u00a0les oeuvres interactives sont \u00e0 vivre […]\u00a0\u00bb (Kisseleva, 1998, p. 59), et ce, au point o\u00f9 l’objet devient secondaire. C’est particuli\u00e8rement le cas avec le net-art : \u00ab\u00a0le net-art n’est pas un objet fixe, il est diss\u00e9min\u00e9 en r\u00e9seaux \u00e9lectriques, il flotte \u00ab\u00a0dans les airs\u00a0\u00bb\u00a0\u00bb (Kisseleva, 1998, p. 323). L’exp\u00e9rience devient ainsi le paradigme du cyberart et, peut-\u00eatre, en grande partie celui de l’art contemporain ou moderne : \u00ab\u00a0Le but du cyberart n’est pas forc\u00e9ment la cr\u00e9ation d’une oeuvre, il peut \u00eatre aussi son exp\u00e9rimentation. L’exp\u00e9rimentation reste d’ailleurs le domaine privil\u00e9gi\u00e9 de l’art contemporain au XXe si\u00e8cle\u00a0\u00bb (Kisseleva, 1998, p. 81). L’implication du spectateur est sans contredit le d\u00e9nominateur commun de bien des manifestations artistiques de ce si\u00e8cle comme celles des dada\u00efstes, des constructivistes russes, de Fluxus et des happenings, de la performance, de l’installation, etc. Des formes d’art caract\u00e9ris\u00e9es par leur aspect collectif et souvent \u00ab\u00a0th\u00e9\u00e2tral\u00a0\u00bb. <\/p>\n\n\n\n \u00c0 ce titre, interaction et exp\u00e9rimentation sont compar\u00e9es \u00e0 la participation : \u00ab\u00a0Dans le contexte de l’art contemporain, le terme \u00ab\u00a0participation\u00a0\u00bb d\u00e9signe finalement la relation entre le spectateur et une oeuvre d’art achev\u00e9e tandis que celui d'\u00a0\u00bbinteraction\u00a0\u00bb implique une relation r\u00e9ciproque entre l’utilisateur et un syst\u00e8me \u00ab\u00a0intelligent\u00a0\u00bb\u00a0\u00bb (Kisseleva, 1998, p. 64).<\/p>\n\n\n\n On se demande toutefois ce qu’il reste, dans la ou les th\u00e9ories du cyberart, de cette notion tr\u00e8s complexe de la participation associ\u00e9e ici \u00e0 l’art contemporain. Notion qui sous-tend la part active du spectateur face \u00e0 l’oeuvre, qu’elle soit interactive ou non. Si, comme le rappelle Kisseleva, c’est le regardeur qui fait le tableau (Duchamp) et que le lecteur est aussi \u00ab\u00a0producteur du Texte\u00a0\u00bb (Barthes), cela suppose non seulement la jouissance esth\u00e9tique mais aussi le non moins in\u00e9puisable travail d’interpr\u00e9tation et d’analyse critique. Mais quand vient le temps de comparer les oeuvres dites achev\u00e9es \u00e0 celles propres aux \u00ab\u00a0syst\u00e8mes intelligents\u00a0\u00bb, il semble que la \u00ab\u00a0participation\u00a0\u00bb et \u00ab\u00a0l’interaction\u00a0\u00bb deviennent des concepts exclusifs l’un de l’autre. Par exemple, \u00e0 quel point l’opposition oeuvre close-oeuvre ouverte m\u00e8ne-t-elle \u00e0 la conclusion que l’oeuvre ouverte permet, de mani\u00e8re in\u00e9dite, au participant de se voir \u00ab\u00a0investi d’une responsabilit\u00e9 dont la division traditionnelle des r\u00f4les l’avait jusque-l\u00e0 d\u00e9charg\u00e9\u00a0\u00bb (J\u00e9r\u00f4me Glicenstein, cit\u00e9 par l’auteure)? Contempler jusqu’\u00e0 l’extase ou analyser jusqu’au moindre motif le tableau dans le mus\u00e9e, n’est-ce pas le fait d’une implication du spectateur? Certes, on admet volontiers que l’interactivit\u00e9 du cyberart engage et responsabilise d’avantage l'\u00a0\u00bbutilisateur\u00a0\u00bb puisque la perception m\u00eame de l’oeuvre est impossible sans qu’elle soit actualis\u00e9e par un processus dialogique. Mais ne serait-il pas aussi appropri\u00e9 de parler de diff\u00e9rence de degr\u00e9s – la simple contemplation passive, par exemple, comme premier degr\u00e9 de l’interaction – en m\u00eame temps que de diff\u00e9rence de nature – interactivit\u00e9 de nature technique ou mentale? Car il importe de bien distinguer l’interactivit\u00e9 permise par la technologie – le dialogue entre l’homme et les syst\u00e8mes computationnels – et l’activit\u00e9 interpr\u00e9tative et critique qui, elle aussi, \u00e9tablit des liens, configure des noeuds, ayant pour effet de transformer \u00e0 la fois le statut du sujet percevant et l’objet per\u00e7u. <\/p>\n\n\n\n De plus, on se questionne sur la valorisation de la relation et de l’intervalle propre \u00e0 l’exp\u00e9rimentation, car elle se fait au d\u00e9triment de l’identit\u00e9 de l’objet et surtout du sujet, si ind\u00e9termin\u00e9 et d\u00e9territorialis\u00e9 que soit ce dernier, une fois prolong\u00e9 par les m\u00e9dias num\u00e9riques. On voit l\u00e0 une autre mani\u00e8re de dire que le processus l’emporte sur le r\u00e9sultat dans la mesure o\u00f9 ce qui est entre les \u00e9l\u00e9ments importe plus que les \u00e9l\u00e9ments eux-m\u00eames. Sur cette id\u00e9e de relations, les propos d’Edmond Couchot sont exemplaires\u00a0:<\/p>\n\n\n\nL’exp\u00e9rience comme nouveau paradigme<\/h2>\n\n\n\n
Participation ou interaction<\/h2>\n\n\n\n