{"id":4265,"date":"1999-11-01T22:16:54","date_gmt":"1999-11-01T22:16:54","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=4265"},"modified":"2023-03-07T22:17:03","modified_gmt":"2023-03-07T22:17:03","slug":"novembre-1999-un-entretien-avec-gerfried-stocker-ars-electronica","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/novembre-1999-un-entretien-avec-gerfried-stocker-ars-electronica\/","title":{"rendered":"Novembre 1999 – Un entretien avec Gerfried Stocker (Ars Electronica)"},"content":{"rendered":"\n

Gerfreid Stocker est un artiste ind\u00e9pendant oeuvrant dans le domaine de la musique et des arts m\u00e9diatiques depuis le d\u00e9but des ann\u00e9es 90. Administrateur pour le\u00a0Centre Ars Electronica\u00a0depuis 1995, il occupe aussi le poste de directeur artistique pour le Festival Ars Electronica. Nous l’avons rencontr\u00e9 dans le cadre de\u00a0Cartographies\u00a0organis\u00e9 par ISEA (12 au 14 octobre 1999, Montr\u00e9al). Cartographies cherchait \u00e0 faire le point sur les \u00e9tats g\u00e9n\u00e9raux des nouveaux m\u00e9dias sur le plan international.<\/p>\n\n\n\n

Une entrevue r\u00e9alis\u00e9e par\u00a0Val\u00e9rie Lamontagne\u00a0et Pierre Robert<\/p>\n\n\n\n

\"\"<\/figure>\n\n\n\n

Votre conf\u00e9rence abordait le document sous l’angle de l’\u00e9v\u00e9nement (\u00ab\u00a0du document \u00e0 l’\u00e9v\u00e9nement\u00a0\u00bb), pouvez-vous nous dire comment cette id\u00e9e prend forme dans les manifestations artistiques et les festivals comme celui d’Ars Electronica?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Gerfreid Stocker: D’abord il est important de comprendre ce que l’expression \u00ab\u00a0du document \u00e0 l’\u00e9v\u00e9nement\u00a0\u00bb signifie vraiment, soit la transformation d’un art orient\u00e9 vers l’objet, visant \u00e0 produire des originaux, \u00e0 la notion de l’artiste en tant que cr\u00e9ateur unique, vers une nouvelle position o\u00f9 l’objet n’a plus de r\u00e9elle pertinence.<\/p>\n\n\n\n

C’est plut\u00f4t un processus dans lequel l’artiste n’agit pas individuellement mais travaille en collaboration avec des \u00e9quipes interdisciplinaires de techniciens, de designers, d’architectes, d’artistes et de musiciens. Il s’agit d’un processus qui est tr\u00e8s fortement model\u00e9 par la nouvelle technologie et les artistes s’adaptent \u00e0 cette situation et c’est, je pense, une transformation tr\u00e8s importante que ce passage de l’art orient\u00e9 vers l’objet \u00e0 l’art orient\u00e9 vers le processus, de l’individuel au collectif.<\/p>\n\n\n\n

Il y a aussi une implication plus th\u00e9orique \u00e0 cette id\u00e9e \u00ab\u00a0du document \u00e0 l’\u00e9v\u00e9nement\u00a0\u00bb, et m\u00eame dans les arts m\u00e9diatiques nous avons fait face \u00e0 un changement, ou \u00e0 une transgression, d’un art m\u00e9diatique qui produit un objet (qui n’est plus bien s\u00fbr l’objet d’art habituel, mais plut\u00f4t une oeuvre centr\u00e9e sur la production) \u00e0 un art cr\u00e9\u00e9 par des artistes en r\u00e9seau o\u00f9 on se concentre maintenant sur les relations, ou la cr\u00e9ation d’\u00e9changes et de relations.<\/p>\n\n\n\n

Les artistes \u00e9tablissent davantage de relations entre les diff\u00e9rentes communaut\u00e9s et entre les diff\u00e9rents types d’utilisateurs sur l’Internet et je pense que cela pose un grand d\u00e9fi au march\u00e9 de l’art. Les march\u00e9s de l’art et les festivals comme le n\u00f4tre, ainsi que les mus\u00e9es et les galeries font face \u00e0 une forme de d\u00e9mat\u00e9rialisation de l’art.<\/p>\n\n\n\n

La r\u00e9ponse \u00e0 ce probl\u00e8me para\u00eet simple. On peut se dire: \u00ab\u00a0D’accord, nous devons maintenant passer de la pr\u00e9sentation \u00e0 la production\u00a0\u00bb. Parce que si les artistes ne produisent plus d’objets, on ne peut les collectionner, les stocker et les exposer, cons\u00e9quemment une nouvelle collaboration avec ces artistes doit \u00eatre engag\u00e9e, en soutenant, par exemple, la production et le processus de cr\u00e9ation.<\/p>\n\n\n\n

Mais, en r\u00e9alit\u00e9, nous sommes confront\u00e9s \u00e0 une situation o\u00f9 les artistes auront \u00e9ventuellement de moins en moins besoin des institutions artistiques et des festivals. On peut d\u00e9j\u00e0 constater ce ph\u00e9nom\u00e8ne dans l’industrie de la musique – l’av\u00e8nement du MP3 pertube actuellement l’industrie, sans compter les possibilit\u00e9s de production et de distribution ind\u00e9pendantes – la m\u00eame chose peut arriver \u00e0 l’industrie artistique. \u00c0 commencer par les gouvernements qui doivent concocter de nouveaux mod\u00e8les de financement. Comment les festivals, les mus\u00e9es et les galeries financeront-ils l’art? Nous devons tous repenser nos mod\u00e8les de collaboration. Jusqu’\u00e0 pr\u00e9sent, je pense qu’il y a eu tr\u00e8s peu d’endroits o\u00f9 ce d\u00e9fi a r\u00e9ellement \u00e9t\u00e9 pris en compte.<\/p>\n\n\n\n

Un des points que vous avez soulev\u00e9s concernait l’artiste en tant qu’entrepreneur. Parlez-nous de la dimension commerciale du travail de l’artiste et dites-nous comment on peut lier les affaires \u00e0 ce dernier, et ce, de la production \u00e0 la distribution et sur tout autre plan avec lequel l’artiste doit maintenant traiter. De plus, cette question de l’objet d’art comme \u00e9v\u00e9nement peut \u00eatre li\u00e9e \u00e0 la notion de consommation – sans permanence, l’objet se voit perp\u00e9tu\u00e9 dans une \u00e9conomie capitaliste constamment en mouvement. C’est un exemple, peut-\u00eatre y a-t-il d’autres points que vous aimeriez aborder.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Je pense que cette expression de l’artiste comme un entrepreneur, une expression pour le moins provocatrice, comporte beaucoup d’aspects diff\u00e9rents. Un de ces aspects de la rencontre entre l’art et les affaires s’est pr\u00e9sent\u00e9 plus concr\u00e8tement dans le domaine des arts m\u00e9diatiques parce qu’il \u00e9tait n\u00e9cessaire de trouver plus d’argent que ne le permettait le financement traditionnel de la part des gouvernements, en effet la technologie de haute qualit\u00e9, la r\u00e9alit\u00e9 virtuelle et toutes ces pratiques exigent un financement consid\u00e9rable. C’est un point qu’on doit approfondir si on veut aboutir \u00e0 une r\u00e9elle rencontre entre le monde des affaires, le monde corporatif, les commanditaires et l’artiste.<\/p>\n\n\n\n

Mais l’artiste comme un entrepreneur signifie beaucoup plus, c’est une m\u00e9taphore de ce nouveau mod\u00e8le corporatif dont je parlais lors de ma pr\u00e9sentation, de ces strat\u00e9gies qui sont n\u00e9cessaires aux artistes afin qu’ils s’organisent ad\u00e9quatement. Les artistes ont besoin de s’organiser diff\u00e9remment, mais le march\u00e9 de l’art n’\u00e9volue pas assez rapidement pour s’adapter aux nouvelles pratiques artistiques. \u00c7a s’am\u00e9liore lentement, mais si nous regardons trois ou cinq ans en arri\u00e8re, il y avait tr\u00e8s peu, sinon aucune institution artistique, mus\u00e9e ou universit\u00e9 (m\u00eame chose du c\u00f4t\u00e9 de la formation des artistes) qui r\u00e9agissait favorablement \u00e0 ces nouveaux d\u00e9veloppements engag\u00e9s par les artistes dans le cadre de la nouvelle infrastructure technologique.<\/p>\n\n\n\n

Ainsi, les artistes ont d\u00fb s’organiser. Devant cette situation, il ne suffit plus d’\u00eatre seulement un artiste – vous devez \u00eatre aussi un th\u00e9oricien, parce qu’il n’y a aucune th\u00e9orie qui explique ce que vous faites -, vous devenez alors votre propre th\u00e9oricien. Ensuite, bien s\u00fbr, vous \u00eates votre propre technicien parce que m\u00eame si vous obtenez le support de quelques amis programmeurs ou d’ing\u00e9nieurs en \u00e9lectronique, en tant qu’artiste vous devez conna\u00eetre suffisamment la technologie pour n\u00e9gocier et communiquer avec les techniciens. Et, finalement, les artistes feront la promotion de leur production parce qu’ils ont con\u00e7u le projet et qu’ils ont d\u00e9velopp\u00e9, de ce fait, de bonnes strat\u00e9gies de mise en valeur.<\/p>\n\n\n\n

Tout cela est englob\u00e9 sous l’expression de l’artiste entrepreneur. D’une certaine mani\u00e8re, cela a quelque r\u00e9sonance avec les nouveaux mod\u00e8les que l’on retrouve dans le monde commercial traditionnel. Les gens reconnaissent de plus en plus que, dans une situation o\u00f9 vous avez soudainement \u00e0 contr\u00f4ler votre environnement de production et votre environnement de distribution, vous devez alors vous organiser diff\u00e9remment.<\/p>\n\n\n\n

On retrouve, de mani\u00e8re plus \u00e9vidente, ce mod\u00e8le d’entreprise regroupant l’artiste, le th\u00e9oricien, le promoteur, le vendeur, le technicien, etc., dans le secteur de la musique, un des premiers secteurs o\u00f9 les artistes furent capables de contr\u00f4ler pleinement leur environnement de production.<\/p>\n\n\n\n

Il n’est effectivement plus n\u00e9cessaire de trouver un studio et de payer pour enregistrer votre musique, vous pouvez le faire sur votre ordinateur portable et, de plus, il n’est pas n\u00e9cessaire de produire un disque compact, de n\u00e9gocier avec les compagnies et les magasins. Vous pouvez tout faire vous-m\u00eames et je pense vraiment que les musiciens, les compositeurs et les artistes du son qui ont r\u00e9ussi \u00e0 cr\u00e9er leur propre environnement, de la production \u00e0 la distribution, sont paradigmatiques \u00e0 ce titre.<\/p>\n\n\n\n

\u00c7a peut \u00eatre un tr\u00e8s bon mod\u00e8le pour beaucoup d’autres domaines artistiques comme les arts visuels, le cin\u00e9ma et aussi le th\u00e9\u00e2tre. Je pense que le th\u00e9\u00e2tre toutefois est tr\u00e8s en retard. Si une troupe utilise la vid\u00e9o sur sc\u00e8ne, ils se disent \u00ab\u00a0Wow! nous sommes des grands artistes des m\u00e9dias\u00a0\u00bb, mais ils ne comprennent pas que la notion m\u00eame de \u00ab\u00a0public\u00a0\u00bb change. Vous avez l\u00e0 un nouvel auditoire et un nouvel espace pour le rejoindre.<\/p>\n\n\n\n

Vous avez employ\u00e9 la m\u00e9taphore de la musique et aussi de l’industrie musicale, j’ajouterais \u00e0 cela que ceux dont vous parlez font partie d’une g\u00e9n\u00e9ration plus jeune que les artistes actuellement pr\u00e9sents dans les festivals d\u00e9di\u00e9s aux nouveaux m\u00e9dias. Croyez-vous qu’il y a des diff\u00e9rences de g\u00e9n\u00e9ration entre les artistes des m\u00e9dias plus vieux et plus jeunes par rapport \u00e0 leur fa\u00e7on de fonctionner et de produire? Pourriez-vous nous dire aussi comment les artistes des m\u00e9dias empruntent les id\u00e9es et les structures \u00e9labor\u00e9es par les musiciens?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Absolument, je pense que c’est un probl\u00e8me de g\u00e9n\u00e9ration, peut-\u00eatre pas un probl\u00e8me mais certainement une question de g\u00e9n\u00e9ration et, bien s\u00fbr, \u00e0 chaque ann\u00e9e la situation suivante se r\u00e9p\u00e8te, des milliers de jeunes artistes compl\u00e8tent leur \u00e9ducation universitaire avec un papier qui dit \u00ab\u00a0Je suis un artiste\u00a0\u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Pour ces derniers \u00e7a signifie: \u00ab\u00a0O.K., maintenant je suis un artiste, j’ai le droit d’exposer dans les galeries, il me faut mon environnement\u00a0\u00bb. Et, alors, la plupart d’entre eux sont incapables de bien g\u00e9rer cette situation. Ce n’est donc pas, en ce sens, simplement une question d’\u00e2ge, c’est aussi une question d’approche.<\/p>\n\n\n\n

Dans le domaine musical, par exemple, vous voyez des gens qui ne sont pas issus d’une \u00e9ducation musicale traditionnelle, parce que ce n’est pas la voie \u00e0 prendre si vous voulez devenir un artiste des arts m\u00e9diatiques ou quand vous d\u00e9sirez travailler sur l’Internet, ou faire de l’\u00e9chantillonnage et ainsi de suite. Les compositeurs traditionnels, pour leur part, vont dans une direction qui est la leur, ils ont leur propre niche et leur propre march\u00e9, alors que les artistes des beaux-arts font, quant \u00e0 eux, face \u00e0 une crise profonde.<\/p>\n\n\n\n

Les universit\u00e9s produisent de plus en plus d’artistes ch\u00f4meurs parce qu’ils ne savent pas comment les instruire, ces derniers ne sont m\u00eame pas form\u00e9s \u00e0 utiliser efficacement l’ordinateur. La plupart des jeunes qui con\u00e7oivent de fa\u00e7on autonome des pages Web en savent plus que ceux qui sortent des programmes d’art universitaires.<\/p>\n\n\n\n

Ils (les \u00e9tudiants en beaux-arts) ne sont pas pr\u00e9par\u00e9s \u00e0 faire face \u00e0 ce nouveau paradigme voulant que les nouveaux m\u00e9dias signifient aussi une nouvelle relation avec le public, et que la galerie n’est plus le but ultime. Je pense que, d’une part, c’est un probl\u00e8me g\u00e9n\u00e9rationnel mais que, d’autre part, c’est aussi un probl\u00e8me d’\u00e9ducation. Dans le domaine musical c’est plus facile parce que les musiciens doivent travailler en groupe, sans, \u00e9videmment, que cela soit obligatoire, toutefois les musiciens travaillent souvent en \u00e9quipe. M\u00eame dans la musique traditonnelle, ils sont beaucoup plus familiers avec ces situations o\u00f9 on doit s’entendre et trouver des fa\u00e7ons de pr\u00e9senter le travail.<\/p>\n\n\n\n

\"\"<\/figure>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Gerfreid Stocker est un artiste ind\u00e9pendant oeuvrant dans le domaine de la musique et des arts m\u00e9diatiques depuis le d\u00e9but des ann\u00e9es 90. Administrateur pour le\u00a0Centre Ars Electronica\u00a0depuis 1995, il occupe aussi le poste de directeur artistique pour le Festival Ars Electronica. Nous l’avons rencontr\u00e9 dans le cadre de\u00a0Cartographies\u00a0organis\u00e9 par ISEA (12 au 14 octobre … Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[10],"tags":[263],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/4265"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=4265"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/4265\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":4269,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/4265\/revisions\/4269"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=4265"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=4265"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=4265"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}