{"id":4327,"date":"1999-09-01T22:47:14","date_gmt":"1999-09-01T22:47:14","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=4327"},"modified":"2023-03-07T22:47:23","modified_gmt":"2023-03-07T22:47:23","slug":"septembre-1999-le-net-site-et-non-site","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/septembre-1999-le-net-site-et-non-site\/","title":{"rendered":"Septembre 1999 – Le NET: site et non-site"},"content":{"rendered":"\n

Jean-Claude Gu\u00e9don est professeur titulaire en litt\u00e9rature compar\u00e9e \u00e0 l’Universit\u00e9 de Montr\u00e9al. Membre du coll\u00e8ge scientifique du REFER (r\u00e9seau \u00e9lectronique francophone pour l’enseignement et la recherche), il a publi\u00e9 La Plan\u00e8te cyber. Internet et cyberespace<\/em> chez D\u00e9couvertes-Gallimard. Chantal Pontbriand, directrice de la revue d’art contemporain Parachute, l’a rencontr\u00e9 pour discuter des retomb\u00e9es artistiques et sociales de la \u00ab\u00a0r\u00e9volution cyber\u00a0\u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Note: Cet entretien a \u00e9t\u00e9 initialement publi\u00e9 dans la revue d’art contemporain\u00a0Parachute, no 84, octobre-novembre-d\u00e9cembre 1996. Nous le reproduisons ici avec l’aimable autorisation des auteurs et de la revue Parachute.<\/p>\n\n\n\n

C. P.: Comment les images et les contenus m\u00e9diatis\u00e9s red\u00e9finissent-ils la soci\u00e9t\u00e9 actuelle et, en particulier, l\u2019art?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

J.-C. G.: \u00c0 mon avis, ils red\u00e9finissent l\u2019art de beaucoup de mani\u00e8res. Un document num\u00e9ris\u00e9 n\u2019a pas le m\u00eame comportement qu\u2019un document non num\u00e9ris\u00e9. Il est tr\u00e8s difficile de poss\u00e9der un objet num\u00e9ris\u00e9 de fa\u00e7on exclusive dans la mesure o\u00f9 il est ais\u00e9 d\u2019en d\u00e9multiplier les exemplaires, d\u2019en faire une collection tr\u00e8s vaste et de l\u2019envoyer tr\u00e8s vite n\u2019importe o\u00f9 sur la plan\u00e8te. Le rapport du cr\u00e9ateur \u00e0 l\u2019\u0153uvre est imm\u00e9diatement remis en question par la num\u00e9risation et on peut se demander, justement, s\u2019il est possible de se limiter \u00e0 un seul cr\u00e9ateur dans le cas d\u2019une \u0153uvre num\u00e9ris\u00e9e. <\/p>\n\n\n\n

Prenons le texte comme exemple. L\u2019imprim\u00e9 avait permis de le fixer \u2013 en fait, m\u00eame, de lui donner une forme canonique et d\u2019assurer du m\u00eame coup l\u2019existence d\u2019un auteur. D\u2019assurer aussi, incidemment, un circuit commercial pour ce texte car celui-ci, prenant la forme d\u2019un objet, peut se vendre comme tel. Ainsi, gr\u00e2ce \u00e0 l\u2019imprim\u00e9, un dispositif socio-\u00e9conomique s\u2019est mis en place qui a permis au texte de circuler. Avec la num\u00e9risation, par contraste, le texte peut \u201cd\u00e9river\u201d en passant d\u2019un lecteur \u00e0 l\u2019autre si bien qu\u2019\u00e0 la fin, on ne sait plus qui en est l\u2019auteur. <\/p>\n\n\n\n

\u00c0 mon avis, l\u2019\u0153uvre d\u2019art en g\u00e9n\u00e9ral subit un peu le m\u00eame type de tension, le m\u00eame type de red\u00e9finition \u2013 non seulement du rapport du cr\u00e9ateur \u00e0 l\u2019\u0153uvre, de la d\u00e9rive de l\u2019objet d\u2019un \u201ccr\u00e9ateur\u201d \u00e0 d\u2019autres cr\u00e9ateurs, mais aussi du lecteur qui devient un petit peu un cr\u00e9ateur. Alors, \u00e0 moins de trouver une fa\u00e7on de bloquer r\u00e9ellement la forme-contenu \u2013 si on peut l\u2019appeler comme \u00e7a \u2013 de l\u2019\u0153uvre d\u2019art, on peut s\u2019attendre \u00e0 ce que l\u2019art redevienne, d\u2019une certaine fa\u00e7on, ce qu\u2019il \u00e9tait \u00e0 l\u2019origine: un artisanat, une construction factice, artificielle, une fa\u00e7on de cr\u00e9er des objets qui se ressemblent les uns les autres et qui maintiennent en m\u00eame temps certaines r\u00e8gles de production. Il y a l\u00e0 une d\u00e9rive insensible, d\u2019un objet \u00e0 l\u2019autre, plut\u00f4t qu\u2019une logique de la diff\u00e9renciation dure, une logique de la distinction dirait Bourdieu, qui caract\u00e9rise, je crois, la production en r\u00e9gime imprim\u00e9. <\/p>\n\n\n\n

Marcel Duchamp aurait pr\u00e9figur\u00e9 cette logique avec son\u00a0readymade<\/em>, non?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Dans la d\u00e9marche de Duchamp, je lis d\u2019embl\u00e9e une sorte de renversement d\u2019une r\u00e8gle g\u00e9n\u00e9rale de la production de l\u2019art. Renverser les r\u00e8gles de la distinction en prenant un objet parfaitement commun et en me l\u2019appropriant en lui donnant une fonction, une sorte de regard \u2013 c\u2019est ma distinction \u00e0 moi, ma mani\u00e8re de m\u2019\u00e9tablir. M\u00eame s\u2019il est exactement comme il \u00e9tait avant, en l\u2019investissant d\u2019un regard, cet objet prendra tout \u00e0 coup une autre valeur. <\/p>\n\n\n\n

Dans le monde dont je parle, c\u2019est la notion m\u00eame de distinction qui tombe. Ce n\u2019est plus une soci\u00e9t\u00e9 o\u00f9 chacun essaie d\u2019\u00eatre le g\u00e9nie romantique ou l\u2019individu qui se d\u00e9marquera par son originalit\u00e9. C\u2019est plut\u00f4t chaque individu travaillant dans un collectif qui se d\u00e9veloppe sans cesse. <\/p>\n\n\n\n

Dans le domaine du texte \u2013 que je connais mieux que celui de l\u2019art \u2013, il y a la notion d\u2019hypertexte. Qu\u2019est-ce qu\u2019un hypertexte? C\u2019est une organisation d\u2019\u00e9l\u00e9ments textuels qui diff\u00e8re de l\u2019organisation lin\u00e9aire o\u00f9 l\u2019on suit en gros l\u2019ordre des pages, la forme libre classique. Dans l\u2019hypertexte, il existe des liens permettant de se promener en boucles, de revenir, de sauter par-dessus certains textes, d\u2019aller ailleurs dans le corpus, d\u2019effectuer des d\u00e9rives qui sont de style m\u00e9taphorique ou m\u00e9tonymique et non pas de style purement logique ou causal. Ces modes de navigation, incidemment, correspondent beaucoup plus \u00e9troitement \u00e0 l\u2019ensemble de nos diff\u00e9rents processus intellectuels. <\/p>\n\n\n\n

Ce qui est important dans l\u2019hypertexte, c\u2019est qu\u2019il n\u2019est jamais termin\u00e9. On peut imaginer, par exemple, l\u2019Encyclop\u00e9die<\/em> de Diderot comme un hypertexte \u2013 des rubriques alphab\u00e9tiquement organis\u00e9es et ensuite des renvois. On pourrait imaginer une encyclop\u00e9die o\u00f9 les gens, au fur et \u00e0 mesure qu\u2019ils la liraient, cr\u00e9eraient de nouveaux liens, ajouteraient des textes, et ainsi de suite. Un hypertexte se pr\u00eate justement \u00e0 ce genre d\u2019op\u00e9rations. Si bien que le corpus se mettrait \u00e0 cro\u00eetre de mani\u00e8re presque naturelle \u2013 si je peux employer ce terme \u2013 avec, du m\u00eame coup, une possibilit\u00e9 pour tout un chacun d\u2019entrer dans le jeu de la production, sans qu\u2019il soit consid\u00e9r\u00e9 comme \u00e9tant l\u2019Auteur de la chose, mais simplement comme un collaborateur \u00e0 l\u2019ensemble. Et donc, le rapport entre l\u2019\u00e9nergie cr\u00e9atrice et l\u2019objet lui-m\u00eame, toujours en train de se constituer et de se transformer, est difficile \u00e0 cerner puisque cet objet change constamment. Sa structuration se modifie, le corpus \u00e9volue et, en g\u00e9n\u00e9ral, s\u2019agrandit. Bref, on est dans une situation qui ressemble \u00e9norm\u00e9ment \u00e0 une situation de vie, comme le corps d\u2019un enfant en train de cro\u00eetre. <\/p>\n\n\n\n

Vous voyez l\u2019hypertexte comme un processus tr\u00e8s organique…<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Tr\u00e8s organique dans la mani\u00e8re de le penser, en tout cas. Je ne veux pas faire d\u2019extrapolations sur l\u2019organicit\u00e9 de la chose, mais le mode organique se pr\u00eate tr\u00e8s bien \u00e0 la saisie de ce type de d\u00e9veloppement. <\/p>\n\n\n\n

En art par exemple, cette notion pourrait s\u2019apparenter aux proc\u00e9dures utilis\u00e9es par les surr\u00e9alistes pour le cadavre exquis<\/em>. Cette proc\u00e9dure me semble \u00eatre parfaitement adapt\u00e9e \u00e0 la num\u00e9risation en ce sens que des gens ajoutent des choses, se mettent en relation avec des \u00e9l\u00e9ments proches de leur environnement dans une esp\u00e8ce d\u2019ensemble dont on ne conna\u00eet jamais les limites ni le centre. Il y a ni d\u00e9but ni fin, une fois que c\u2019est lanc\u00e9. Il y a un d\u00e9but et un commencement, mais il n\u2019y a pas de d\u00e9but logique, ni de fin logique. On peut faire des r\u00e9gressions quasiment a posteriori \u2013 ce qui est un paradoxe. <\/p>\n\n\n\n

On se retrouve dans une situation compl\u00e8tement diff\u00e9rente de celle qu\u2019on a v\u00e9cue alors qu\u2019il fallait cr\u00e9er des objets originaux, qui devaient d\u2019ailleurs l\u2019\u00eatre \u00e0 cause de la n\u00e9cessit\u00e9 de les vendre en tant qu\u2019objets. Cette notion socio-\u00e9conomique me semble fondamentale dans la compr\u00e9hension de l\u2019art actuel puisqu\u2019elle risque d\u2019\u00eatre remise tr\u00e8s fortement en question par la num\u00e9risation.<\/p>\n\n\n\n

\"\"<\/figure>\n\n\n\n

<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Jean-Claude Gu\u00e9don est professeur titulaire en litt\u00e9rature compar\u00e9e \u00e0 l’Universit\u00e9 de Montr\u00e9al. Membre du coll\u00e8ge scientifique du REFER (r\u00e9seau \u00e9lectronique francophone pour l’enseignement et la recherche), il a publi\u00e9 La Plan\u00e8te cyber. Internet et cyberespace chez D\u00e9couvertes-Gallimard. Chantal Pontbriand, directrice de la revue d’art contemporain Parachute, l’a rencontr\u00e9 pour discuter des retomb\u00e9es artistiques et sociales de la … Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[10],"tags":[266],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/4327"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=4327"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/4327\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":4330,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/4327\/revisions\/4330"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=4327"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=4327"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=4327"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}