{"id":4331,"date":"1999-09-01T22:50:16","date_gmt":"1999-09-01T22:50:16","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=4331"},"modified":"2023-03-07T22:50:38","modified_gmt":"2023-03-07T22:50:38","slug":"septembre-1999-bodymaps-artifacts-of-touch-de-thecla-shiphorst","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/septembre-1999-bodymaps-artifacts-of-touch-de-thecla-shiphorst\/","title":{"rendered":"Septembre 1999 – Bodymaps: artifacts of touch<\/i>\u00a0de Thecla Shiphorst"},"content":{"rendered":"\n

Il appartient \u00e0 l’oeuvre d’art d’installer un\u00a0monde<\/em>, cet \u00e9tat d’immersion par lequel l’exp\u00e9rience esth\u00e9tique s’int\u00e9riorise. L’exposition\u00a0Touch:touch\u00e9<\/em>, pr\u00e9sent\u00e9e au centre d’artistes\u00a0Oboro\u00a0(Montr\u00e9al, du 6 mars au 3 avril 1999), et plus particuli\u00e8rement\u00a0Bodymaps<\/em>\u00a0de Thecla Shiphorst1<\/sup> t\u00e9moignent \u00e9loquemment de cette convergence entre l’exp\u00e9rience du spectateur et la m\u00e9diation de l’oeuvre.<\/p>\n\n\n\n

\"\"<\/figure>\n\n\n\n

Bodymaps<\/em>\u00a0occupe un espace intime, tant par la taille de la salle que par l’\u00e9clairage qui y r\u00e8gne. Au centre de la pi\u00e8ce se trouve une table de dimension moyenne, recouverte de tissus blancs, sur lesquels appara\u00eet une image vid\u00e9o impr\u00e9cise, possiblement de l’herbe ou, encore, un \u00e9chantillon min\u00e9ral en plan rapproch\u00e9. Le regard d\u00e9rout\u00e9 h\u00e9site devant cette image fig\u00e9e. Plusieurs haut-parleurs suspendus au plafond indiquent au spectateur que quelque chose se produira, mais rien ne se passe. Tout au plus, quelques sons discrets se font entendre et se m\u00e9langent; vagues sons d’eau et de chuchotements formant un murmure ind\u00e9cis, une rumeur lointaine. Si ce n’\u00e9tait du titre de l’exposition \u00ab\u00a0artifacts of touch\u00a0\u00bb,<\/em>\u00a0on pourrait \u00eatre tent\u00e9 de quitter. Intrigu\u00e9, l’oeil s’impatiente et la main se tend. Le mutisme de l’installation suscite ce mouvement de la main qui, du bout des doigts, se hasarde sur le tissu blafard et velout\u00e9, d\u00e9pos\u00e9 sur la table. \u00c0 cet instant m\u00eame, la surface s’anime.<\/p>\n\n\n\n

\"\"<\/figure>\n\n\n\n

Le tissu dissimule en fait un ensemble de capteurs \u00e9lectroniques. Ceux-ci contr\u00f4lent un vid\u00e9odisque reli\u00e9 \u00e0 un ordinateur qui renvoie aussit\u00f4t une projection vid\u00e9o et sonore qui variera proportionnellement \u00e0 l’intensit\u00e9 du contact. La curiosit\u00e9 initiale du spectateur se m\u00e9tamorphose alors en un d\u00e9sir d’exp\u00e9rimentation. L’envie d’en voir davantage fait surgir des ressacs d’impressions qu’on peut \u00e0 nouveau contempler. Ce toucher du regard<\/em>lie ainsi la main \u00e0 l’oeil et nous am\u00e8ne \u00e0 explorer le mouvement des images vid\u00e9o, comme l’esprit le fait avec les repr\u00e9sentations d’un songe. <\/p>\n\n\n\n

Bodymaps: artifacts of touch<\/em> appartient au registre encore tr\u00e8s restreint d’oeuvres interactives significatives o\u00f9 l’exp\u00e9rience du spectateur est tributaire d’une immersion concr\u00e8te dans un environnement \u00e0 tr\u00e8s forte charge po\u00e9tique. La narrativit\u00e9 et le parcours y sont soumis \u00e0 un ensemble de d\u00e9terminations inusit\u00e9es oscillant entre l’al\u00e9atoire et le contr\u00f4le. Le terme parcours<\/em> est \u00e0 prendre au sens litt\u00e9ral, car il implique un \u00ab\u00a0d\u00e9placement\u00a0\u00bb au travers de multiples s\u00e9quences vid\u00e9o dont l’ordre et le choix ne d\u00e9pendent pas des volont\u00e9s unilat\u00e9rales de l’auteur ou du spectateur. Il s’agit d’une forme de \u00ab\u00a0hasard d\u00e9termin\u00e9\u00a0\u00bb qui n’est pas sans rappeler la po\u00e9tique du Coup de d\u00e9s<\/em> de Mallarm\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Si l’interactivit\u00e9 est souvent invoqu\u00e9e pour ses vertus \u00e9mancipatrices li\u00e9es \u00e0 la substitution des r\u00f4les du spectateur et de l’artiste, elle est surtout utilis\u00e9e ici pour son potentiel de diss\u00e9mination. Bodymaps<\/em> \u00e9voque l’arri\u00e8re-sc\u00e8ne de l’image, le verso mortif\u00e8re qui la tient \u00e0 distance d’elle-m\u00eame. Des s\u00e9quences d’une grande beaut\u00e9 \u00e9voquent un espace onirique liquide o\u00f9 l’exp\u00e9rience du sommeil voisine celle de la mort. Une m\u00e8re, allong\u00e9e sur le lit caillouteux d’un ruisseau, dort serr\u00e9e contre sa fille, leurs figures encadr\u00e9es par le rebord de la table blanche, comme pour recr\u00e9er un espace pictural classique. Les personnages disparaissent pour laisser place \u00e0 d’autres images, notamment l’image flottante d’un peignoir blanc qui s’introduit graduellement dans le cadrage. Le visiteur poursuit ainsi son chemin \u00e0 travers un encha\u00eenement al\u00e9atoire unique.  <\/p>\n\n\n\n

Certaines s\u00e9quences que d’autres spectateurs verront peut-\u00eatre nous resteront inexorablement cach\u00e9es et ce, peu importe le temps consacr\u00e9 \u00e0 l’oeuvre. Le spectateur se retrouve sur la surface d’un lac au profondeurs insondables. Ainsi, l’oeuvre se garde en r\u00e9serve, en retrait, ne se d\u00e9voile pas totalement et, par cette retenue, pointe vers l’absence de toute image photographique a \u00e0 elle-m\u00eame, \u00e0 son r\u00e9f\u00e9rent en tant que reste, trace <\/em>et cadrage. De plus, elle d\u00e9double son caract\u00e8re mn\u00e9monique par sa pr\u00e9sence \u00e0 la fois ponctuelle et subjective, soulignant ainsi la nature arbitraire et circonstancielle de son ici-maintenant. <\/p>\n\n\n\n

Le mouvement des mains sur le velours fait varier l’intensit\u00e9 sonore d’une eau courante jusqu’au d\u00e9ferlement de vagues qui, en croissant instantan\u00e9ment, s’apparente au bruit du sable projet\u00e9 contre le m\u00e9tal. Ce crescendo sonore accentue sensiblement la pulsion narrative de l’ensemble de l’installation. Les rapports interactifs que l’oeuvre am\u00e8ne \u00e0 exp\u00e9rimenter \u00e9voquent les incessantes relations d’interd\u00e9pendances et de compl\u00e9mentarit\u00e9 r\u00e9gissant nos rapports au monde. Ici, l’interface agit en tant que m\u00e9taphore \u00e0 ces relations et comme l’exp\u00e9rience du fonctionnement de la m\u00e9moire, soit une variation de r\u00e9cits \u00e0 partir d’\u00e9v\u00e9nements d\u00e9connect\u00e9s. <\/p>\n\n\n\n

Sur cette table pourvue de qualit\u00e9s ext\u00e9roceptives exceptionnelles se construit une relation spectateur-acteur dont la force provient en grande partie du dispositif de pr\u00e9sentation, les repr\u00e9sentations amenant pour leur part une forme de r\u00e9ciprocit\u00e9. Ces deux syst\u00e8mes se r\u00e9pondent et se rencontrent dans cet espace de projection dans lequel la table devient le lieu d’une projection ext\u00e9rieure de la conscience. En plongeant encore plus profond\u00e9ment dans cet univers, la mouvance de l’image et la repr\u00e9sentation m\u00e9taphorique de cette mouvance s’interp\u00e9n\u00e8trent de plus en plus. Chaque nouvel univers explor\u00e9 redevient \u00e0 son tour objet de contemplation et s’\u00e9lance vers une construction autre. <\/p>\n\n\n\n

Telle une chambre aux songes, l’oeuvre de Thecla Shiphorst nous invite \u00e0 faire l’exp\u00e9rience enveloppante de notre propre m\u00e9moire. Par la figure de style, elle exprime son \u00e9coulement et sa dur\u00e9e: le passage du temps qui se fraye un chemin, son arr\u00eat, sa pause, sa mortification par la m\u00e9moire vid\u00e9onum\u00e9rique dans ses formes \u00e0 la fois fixes et fluides.<\/p>\n\n\n\n

Elle nous am\u00e8ne \u00e0 vivre les \u00e9tats li\u00e9s au processus de formation de la pens\u00e9e, r\u00e9v\u00e9lant la nature mouvante et mall\u00e9able de notre propre exp\u00e9rience. L’oeuvre nous conduit \u00e0 vivre l’exp\u00e9rience d’une complicit\u00e9 avec la machine et \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir sur cet univers de r\u00e9ciprocit\u00e9 et de symbiose que nous entretenons de plus en plus avec elle. Tour \u00e0 tour s’y dessinent de nouveaux univers r\u00e9sultant de cette interaction. Ce regard y agit comme catalyseur. Le toucher r\u00e9anime l’image qui nous transporte dans le mouvement insaisissable de la vid\u00e9o puis stabilise, un moment, le souvenir fugitif. Bodymaps<\/em> explore cette impossibilit\u00e9 de fixer les images fugaces de la conscience, de s’atteindre et d’atteindre l’Autre d’un seul coup, dans le mouvement m\u00eame du r\u00e9el. Comme autant de parcours singuliers transportant au coeur des choses l’espace dilat\u00e9 d’un instant.<\/p>\n\n\n\n

En pr\u00e9sentant des oeuvres d’une qualit\u00e9 sensorielle et interactive ind\u00e9niable physicalit\u00e9, l’exposition nous achemine vers l’exp\u00e9rience d’un constat pr\u00e9gnant: celui du caract\u00e8re corporel de la m\u00e9moire dans sa relation m\u00e9diate \u00e0 l’intuition. Touch: touch\u00e9<\/em> ravive ainsi la dimension intentionnelle et conversationnelle de notre v\u00e9cu historique.<\/p>\n\n\n\n

Room for walking<\/em><\/h2>\n\n\n\n

Moins ambitieuse mais toutefois int\u00e9ressante, l’oeuvre de Daniel Jolliffe2<\/sup>\u00a0Room for walking<\/em>, pr\u00e9sent\u00e9e lors de cette m\u00eame exposition, est constitu\u00e9e d’un chariot mobile rappelant un tra\u00eeneau \u00e0 roues pour enfant dans lequel est mont\u00e9 un syst\u00e8me de projection qui s’actionne au moment du d\u00e9placement de l’objet par le spectateur dans une salle enti\u00e8rement vide. Au plafond, le dispositif projette des images \u00e9vocatrices d’une m\u00e9moire profonde et relativement abstraite semblant r\u00e9f\u00e9rer \u00e0 l’enfance et aux infimes fragments qui en peuvent resurgir dans la conscience adulte. Les d\u00e9placements du spectateur dans la galerie induisent en effet le recadrage progressif d’une image fixe qui semble \u00eatre un am\u00e9nagement paysager banlieusard et rudimentaire vu en tr\u00e8s gros plan. Un coin de patio, agr\u00e9ment\u00e9 d’un peu de gazon, se r\u00e9v\u00e8le ainsi progressivement au regard, comme les souvenirs d’une enfance p\u00e9riurbaine qui se laisseraient approcher sur un mode fragmentaire. Le visiteur-acteur obtient ainsi l’impression de parcourir le paysage projet\u00e9 au plafond et ce, \u00e0 la mesure de l’effort n\u00e9cessaire \u00e0 son d\u00e9placement dans l’espace d’exposition.<\/p>\n\n\n\n

Notes<\/h2>\n\n\n\n

[1] Thecla Shiphorst est une artiste du domaine de l’informatique, elle a un formation en design de syst\u00e8mes informatiques et en chor\u00e9graphie. Elle \u00e9tait membre de l’\u00e9quipe de conception du logiciel Life Forms; un logiciel de composition informatique en animation et en chor\u00e9graphie. Elle recevait en 1998 le prestigieux prix P\u00e9tro-Canada. Techla enseigne pr\u00e9sentement au Emily Carr Institute of Art and Design \u00e0 Vancouver. Elle co-commissionne aussi un site Web artistique,\u00a0Digital eARTh.<\/p>\n\n\n\n

[2] Daniel Jolliffe r\u00e9alise des oeuvres \u00e0 partir de syst\u00e8mes \u00e9lectroniques contenus dans des structures sculpturales qui d\u00e9tectent les mouvements et les gestes du corps. Il a expos\u00e9 son travail \u00e0 travers le Canada et les \u00c9tats-Unis. Il est le directeur du School of Media Studio du Emily Carr Institute of Art and Design.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

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