{"id":4392,"date":"1999-04-01T23:30:22","date_gmt":"1999-04-01T23:30:22","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=4392"},"modified":"2023-03-07T23:30:31","modified_gmt":"2023-03-07T23:30:31","slug":"avril-1999-birdcalls-de-louise-lawler","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/avril-1999-birdcalls-de-louise-lawler\/","title":{"rendered":"Avril 1999 – Birdcalls<\/i>\u00a0de Louise Lawler"},"content":{"rendered":"\n

Les moqueries les plus mordantes sont celles qui s’adressent aux personnages publics plac\u00e9s en situation de pouvoir ou d’autorit\u00e9, ou ceux qui s’\u00e9l\u00e8vent au-dessus du commun: les politiciens, le Pape, les vedettes, etc. Pour ce faire, on s’attaque \u00e0 certains traits de leur identit\u00e9 en les d\u00e9formant ou en les amplifiant. Ce seront les traits physiques, des choses dites, des actes, ou des comportements indignes. On se servira aussi du nom de ces personnes pour faire des calembours ou des contrep\u00e8teries, telles des caricatures sonores.\u00a0Birdcalls<\/em>, de l’artiste am\u00e9ricaine Louise Lawler se rapproche de ce dernier type. Dans une interface tr\u00e8s simple combinant textes et sons, on retrouve des listes de noms d’artistes contemporains reconnus, des noms prononc\u00e9s railleusement \u00e0 la mani\u00e8re de chants d’oiseaux exotiques. On appr\u00e9cie en premier lieu le ton tr\u00e8s humoristique de l’oeuvre ainsi que sa valeur interactive. Ensuite on se questionne sur le pourquoi de la moquerie, soit le fait qu’une praticienne de l’art contemporain dirige son sarcasme vers ses pairs, des artistes connus pour leur travail tr\u00e8s critique, distanci\u00e9, d\u00e9constructif face \u00e0 l’art, son histoire, sa tradition, son id\u00e9ologie, etc. Pourquoi ces artistes? qu’ont-ils de particulier? qu’ont-ils en commun \u00e0 part la noblesse de leur d\u00e9marche?<\/p>\n\n\n\n

On notera d’abord qu’il s’agit d’artistes vivants (sauf Warhol et Matta-Clark), n\u00e9s principalement dans les ann\u00e9es 1930 et 1940, de sexe masculin et de race blanche. Ils se sont fait conna\u00eetre dans les ann\u00e9es 1970 avec, entre autres, le courant de l’art conceptuel (Lewitt, Weiner, Barry, Haacke, Buren), ou dans les ann\u00e9es 1980 avec les courants internationaux qui marquent le retour de la subjectivit\u00e9 dans une nouvelle peinture expressionniste dont la Transavantgarde italienne (Clemente, Chia, Cucchi). Comme autre point commun, il ont tous v\u00e9cu et profit\u00e9 de l’heure de gloire de l’art postmoderne de ces m\u00eames ann\u00e9es fastes et regrett\u00e9es, surtout les ann\u00e9es 1980 o\u00f9 prolif\u00e8rent, dans un march\u00e9 de l’art tr\u00e8s dynamique, biennales, foires, mus\u00e9es de l’art contemporain. Leur notori\u00e9t\u00e9 fut acquise dans la foul\u00e9e de cet optimisme sans borne, en devenant les h\u00e9ros de toutes les grandes expositions. Leurs productions, si subversives soient-elles, s’\u00e9tablissaient en \u00ab\u00a0courant\u00a0\u00bb d\u00e8s leur \u00e9mergence, tant la machine \u00e9tait bien rod\u00e9e. Rapidement sanctifi\u00e9s par le milieu international de l’art, ceux-ci se retrouvent donc au panth\u00e9on des artistes qui ont marqu\u00e9 ces deux d\u00e9cennies de l’histoire r\u00e9cente. Louise Lawler fait partie de cette g\u00e9n\u00e9ration, \u00e9tant elle-m\u00eame une vedette du milieu depuis le d\u00e9but des ann\u00e9es 1980 (le MoMA lui consacre une exposition en 1987). Sa d\u00e9marche critique, parodique en fait, concerne directement les m\u00e9canismes de diffusion et de r\u00e9ception de l’art dans le r\u00e9seau des institutions. Elle se distingue cependant du groupe mentionn\u00e9 dans la mesure o\u00f9 elle est une des tr\u00e8s rares artistes de cette g\u00e9n\u00e9ration \u00e0 pr\u00e9senter des projets d\u00e9di\u00e9s au Web. <\/p>\n\n\n\n

Dans Birdcalls<\/em>, le nom des artistes est prononc\u00e9 de mani\u00e8re \u00e0 associer la singularit\u00e9 des sonorit\u00e9s \u00e0 la vari\u00e9t\u00e9 des races d’oiseaux que les ornithologues pourront peut-\u00eatre reconna\u00eetre. La voix humaine entendue \u00e9voque le perroquet qui a la vertu d’imiter le cri des autres oiseaux. La caricature sonore tourne donc le panth\u00e9on en d\u00e9rision en l’associant \u00e0 la jungle et son vacarme. On suppose que cette m\u00e9taphore ornithologique op\u00e8re un transfert, partant du nom propre et sa r\u00e9p\u00e9tition, en allant vers le mim\u00e9tisme et renomm\u00e9e. Celle, bien s\u00fbr, des artistes du milieu de l’art contemporain dont les oeuvres, comme nous le mentionnions plus t\u00f4t, s’av\u00e8rent indissociables du processus de m\u00e9diatisation par le r\u00e9seau institutionnel. Car en plus des cr\u00e9ateurs, ce milieu est aussi compos\u00e9 d’agents ayant le pouvoir d’officialiser certaines productions parmi un ensemble tr\u00e8s vaste d’oeuvres qui se perdent dans la rumeur. Comment exercent-ils leur travail de s\u00e9lection? Imaginons ici des perroquets s’imitant les uns les autres, rendant suspecte du m\u00eame coup une \u00ab\u00a0renomm\u00e9e\u00a0\u00bb construite sur la base du mim\u00e9tisme. <\/p>\n\n\n\n

On ne peut alors que se r\u00e9f\u00e9rer \u00e0 cette \u00ab\u00a0logique du choix mim\u00e9tique\u00a0\u00bb qu’Yves Michaud met en parall\u00e8le, dans\u00a0La crise de l’art contemporain<\/em>, avec la prolif\u00e9ration des organismes d’\u00c9tat caract\u00e9risant le monde de l’art Fran\u00e7ais depuis le d\u00e9but des ann\u00e9es 1980: \u00ab\u00a0(…) on est choisi pour avoir \u00e9t\u00e9 choisi, expos\u00e9 pour avoir \u00e9t\u00e9 expos\u00e9, achet\u00e9 pour avoir \u00e9t\u00e9 achet\u00e9: une fois le premier pas fait, les hommes d’appareil sont rassur\u00e9s sur des go\u00fbts que d\u00e9sormais ils partagent\u00a0\u00bb [Michaud, 1998, p. 48], il ajoute plus loin, \u00ab\u00a0Soyez reconnus, on vous d\u00e9couvrira – telle pourrait \u00eatre la maxime du mim\u00e9tisme institutionnel.\u00a0\u00bb [Michaud, 1998, p. 49]. Cette logique n’est-elle pas aussi celle de tout un r\u00e9seau international d’institutions qui sacralise des artistes au point o\u00f9 on perd de vue les oeuvres, leurs valeurs plastiques, intellectuelles et spirituelles? Ce qui importe \u00e0 ce moment, c’est d’avoir le privil\u00e8ge de faire partie du panth\u00e9on, ou faute de mieux, d’envier ceux qui en sont membres quand on n’est pas dans le coup. Michaud d\u00e9montre bien les cons\u00e9quences de cette logique par laquelle s’\u00e9tablit une dialectique d’\u00e9lus et d’exclus, et o\u00f9 tous les artistes finissent par s’essouffler dans une course \u00e0 la notori\u00e9t\u00e9. Ainsi, la strat\u00e9gie \u00e0 d\u00e9velopper pour \u00eatre du bon c\u00f4t\u00e9 sera celle du conformisme, conformisme que l’on pourra consid\u00e9rer comme un sympt\u00f4me manifeste de la crise qui secoue l’art contemporain des ann\u00e9es 1990. Et si l’on compare les deux destins, le sort des \u00e9lus que l’on met en cage n’est pas n\u00e9cessairement plus enviable que celui des exclus, comme en t\u00e9moigne ce passage qui se termine par une autre m\u00e9taphore zoologique:\u00a0<\/p>\n\n\n\n

\"\"<\/figure>\n\n\n\n

Le mim\u00e9tisme se d\u00e9ploie, s’incruste dans le travail des artistes – les admis comme les refus\u00e9s – qui s’autodisciplinent de plus en plus pour entrer dans le moule, augmentant du m\u00eame coup leur chance d’ascension au sein du r\u00e9seau. Et \u00e0 force de se reproduire et de se ressembler, les grands \u00e9v\u00e9nements finissent par perdre toute substance. Ce fut vraisemblablement le cas de la r\u00e9cente et premi\u00e8re Biennale de Montr\u00e9al 981<\/sup>, produite par le CIAC (Centre international d’art contemporain de Montr\u00e9al).<\/p>\n\n\n\n

Dans l’innocence et la l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 de sa forme,\u00a0Birdcalls<\/em>\u00a0est d\u00e9finitivement \u00e0 situer dans ce d\u00e9bat, celui de la crise actuelle de l’art, o\u00f9 le subversif se confond avec l’acad\u00e9misme, et o\u00f9 les artistes deviennent, avant leur mort, des monuments fossilis\u00e9s, entrepos\u00e9s au panth\u00e9on de l’art2<\/sup>! De plus, l’ironie n’est jamais gratuite et rec\u00e8le toujours en elle une v\u00e9rit\u00e9 difficilement d\u00e9montrable par d’autres moyens. En plus de soulever la r\u00e9flexion, l’oeuvre aura aussi la vertu de nous rendre autrement attentifs aux cris des jaseurs, pies et corneilles que nous am\u00e8ne ce printemps.<\/p>\n\n\n\n

Notes<\/h2>\n\n\n\n

[1] Au sujet de la\u00a0Biennale\u00a0de Montr\u00e9al 98, voir l’article intitul\u00e9 \u00ab\u00a0Ha! la culture…\u00a0\u00bb paru dans Arch\u00e9e (octobre 1998).<\/p>\n\n\n\n

[2]\u00a0Dans cet ordre\u00a0d’id\u00e9es, on recommande la consultation d’un oeuvre en ligne plus r\u00e9cente de Louise Lawler,\u00a0Without Moving \/ Without Stopping<\/em>\u00a0(juin 1998) en format QuickTime VR dans laquelle on retrouve, dans une vue panoramique, des statues antiques abandonn\u00e9es \u00e0 l’int\u00e9rieur d’une architecture classique.<\/p>\n\n\n\n

Bibliographie<\/h2>\n\n\n\n

Michaud, Yves,\u00a0La crise de l’art contemporain<\/em>, Paris, Presse Universitaire de France, 1998, 286 p.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

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