{"id":4400,"date":"1999-03-01T23:37:44","date_gmt":"1999-03-01T23:37:44","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=4400"},"modified":"2023-03-07T23:37:56","modified_gmt":"2023-03-07T23:37:56","slug":"mars-1999-lhypermedia-une-tactilite-sans-matiere-iii","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/mars-1999-lhypermedia-une-tactilite-sans-matiere-iii\/","title":{"rendered":"Mars 1999 – L’hyperm\u00e9dia: une tactilit\u00e9 sans mati\u00e8re?\u00a0III"},"content":{"rendered":"\n

Nous avons vu que l’analogique se distingue du virtuel par son attachement \u00e0 quelque chose qui lui pr\u00e9existe. Une r\u00e9alit\u00e9 est capt\u00e9e sur le vif ou construite puis transf\u00e9r\u00e9e sur un support. Cette image n’est alors que l’estampe<\/em> d’une r\u00e9alit\u00e9 pr\u00e9existante, une trace comme l’a d\u00e9montr\u00e9 Couchot, qui se fixe sur un support mat\u00e9riel. Par contre, lorsque je produis des documents \u00e0 l’ordinateur, je num\u00e9rise de l’information compr\u00e9hensible par la machine, information qui devient par le fait m\u00eame immat\u00e9rielle et autonome. De plus, cette information cod\u00e9e en nombres binaires est accessible gr\u00e2ce aux interfaces. Si je num\u00e9rise une photographie (un cas des plus ambigu) le grain, l’\u00e9mulsion et les couleurs perdent leurs propri\u00e9t\u00e9s physiques, elles n’existent maintenant que sous forme de chiffres.  L’image qui appara\u00eet alors \u00e0 l’\u00e9cran devient une simulation de l’image imprim\u00e9e, car la lumi\u00e8re des pixels a remplac\u00e9 les mati\u00e8res chimiques que sont l’encre ou les \u00e9mulsions. Par ailleurs, le processus computationnel<\/em> par lequel la photographie s’est virtualis\u00e9e<\/em> a remplac\u00e9 le support. Et bien que l’information m\u00e9moris\u00e9e dans sa forme algorithmique puisse \u00eatre enregistr\u00e9e sur disque, c’est pour \u00eatre ult\u00e9rieurement soumise \u00e0 d’autres calculs. Parce qu’elle est vive et lib\u00e9r\u00e9e de tout support, la m\u00e9moire computationnelle est beaucoup plus souple que les m\u00e9moires tangibles des supports analogiques. Plut\u00f4t que d’\u00eatre un r\u00e9cepteur passif d’une repr\u00e9sentation, je peux maintenant en tant qu’utilisateur, m’ins\u00e9rer de mani\u00e8re instantan\u00e9e, en temps r\u00e9el, au processus de traitement de l’information. Je peux penser simultan\u00e9ment avec cette machine qui pense. <\/p>\n\n\n\n

En tant que prolongement de ma pens\u00e9e, la r\u00e9alit\u00e9 virtuelle permet donc l’interactivit\u00e9, c’est \u00e0 dire un certain pouvoir de d\u00e9cision pour l’utilisateur, un certain contr\u00f4le sur la production ou la consultation des documents. Et c’est paradoxalement le fait que l’information soit lib\u00e9r\u00e9e de la mati\u00e8re qui me permet de la manipuler. Avec le clavier et la souris, je peux dialoguer avec l’image produite \u00e0 l’\u00e9cran, un dialogue qui implique la tactilit\u00e9 et le geste comme nous allons le voir plus loin. Il deviendra alors \u00e9vident que les nouvelles technologies, en permettant la consultation interactive, font appel \u00e0 une sensorialit\u00e9 beaucoup globale que la simple lecture visuelle parce qu’\u00e0 celle-ci s’ajoute maintenant le geste, qu’il soit r\u00e9el (manipulation des interfaces physiques) ou virtuel (manipulations simul\u00e9es). <\/p>\n\n\n\n

Le virtuel accorde donc une grande place \u00e0 l’interaction non pas seulement parce qu’il est immat\u00e9riel mais parce qu’il permet aussi la simulation. Il importe ici de souligner que cette simulation\u00a0englobe<\/em>\u00a0aussi notre mani\u00e8re d’\u00eatre pr\u00e9sent en tant qu’utilisateur. En s’inspirant de la m\u00e9thode comparative de Nathan Shedroff1 <\/sup>qui consiste \u00e0 placer sur une gamme les degr\u00e9s d’interactivit\u00e9 des diverses activit\u00e9s humaines, nous avions avanc\u00e9 que, si les documents imprim\u00e9s avaient un certain degr\u00e9 d’interactivit\u00e9 du point de vue de la consultation, cela d\u00e9pendait d’un possible rapport tactile avec un objet. On peut naviguer dans un livre parce qu’on peut le manipuler et le d\u00e9ployer dans l’espace. La flexibilit\u00e9 que permet la feuille pli\u00e9e des cahiers, compense en quelque sorte le fait que l’information y soit assembl\u00e9e de mani\u00e8re lin\u00e9aire et d\u00e9finitive dans des pages num\u00e9rot\u00e9es et cousues.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

Si, par ailleurs, nous avions situ\u00e9 la t\u00e9l\u00e9vision en bas de la gamme c’est parce qu’elle commande la passivit\u00e9. Curieusement, c’est encore la perception tactile qui est ici en jeu, ce qui souligne bien l’importance de ce type de sensorialit\u00e9 dans nos rapports avec les m\u00e9dias. Comme nous l’avons dit, la place que la t\u00e9l\u00e9 laisse aux r\u00e9actions ou aux interventions du spectateur est pour ainsi dire nulle. La t\u00e9l\u00e9 est en fait perm\u00e9able aux choix conscients et r\u00e9fl\u00e9chis du spectateur puisque son contenu ne s’adresse pas \u00e0 nos facult\u00e9s d’analyse rationnelle mais bien plut\u00f4t \u00e0 nos organes de perception tactile, comme le d\u00e9montre Derrick de Kerckhove dans ses incontournables et audacieuses analyses pr\u00e9sent\u00e9es dans\u00a0Les nerfs de la culture2<\/sup>.<\/em><\/p>\n\n\n\n

Le pouvoir hypnotisant qu’exerce un t\u00e9l\u00e9viseur, d\u00e8s qu’il est en marche, s’explique par le fait que \u00ab\u00a0la t\u00e9l\u00e9, nous dit de Kerckhove, s’adresse au corps et non \u00e0 l’esprit3<\/sup>\u00ab\u00a0. Cette constatation s’appuie sur l’\u00e9trange exp\u00e9rience de Stephen et Rob Kline (du Laboratoire d’analyse des m\u00e9dias de l’Universit\u00e9 Simon Fraser \u00e0 Vancouver) qui permet de mesurer les activit\u00e9s neuromusculaires d’un sujet expos\u00e9 \u00e0 une s\u00e9rie de s\u00e9quences t\u00e9l\u00e9vis\u00e9es des plus courantes. Elle d\u00e9montre que le sujet r\u00e9agit instantan\u00e9ment de tout son corps au rythme continu des s\u00e9quences. De Kerckhove en conclut que le contenu de nos \u00e9missions t\u00e9l\u00e9visuelles est per\u00e7u par le syst\u00e8me nerveux et non pas par l’esprit qui lui, n’a pas le temps de r\u00e9agir. En effet, ce pouvoir hypnotiseur de la t\u00e9l\u00e9 est bas\u00e9e sur un bombardement continuel de stimuli qui ne font qu’attirer l’attention, un flux lin\u00e9aire d’images et de sons qu’on arrive jamais \u00e0 rattraper, neutralisant du m\u00eame coup notre sens critique et notre pouvoir de distanciation. Un peu comme la musique, note de Kerckhove, la t\u00e9l\u00e9diffusion module notre sensibilit\u00e9 par la \u00ab\u00a0manipulation rapide de nos r\u00e9actions neurophysiologiques\u00a0\u00bb, il ajoute: \u00ab\u00a0C’est si rapide et si puissant que \u00e7a se rapproche plus d’une modulation magn\u00e9tique de notre sensibilit\u00e9. La t\u00e9l\u00e9vision module nos \u00e9motions et notre imagination d’une fa\u00e7on qui se compare \u00e0 l’\u00e9nergie de la musique4<\/sup>\u00ab\u00a0. Et qui n’a pas remarqu\u00e9 que le fait de couper le son, diminue l’impact m\u00e9dusant de la t\u00e9l\u00e9? Ce qui r\u00e9v\u00e8le du m\u00eame coup le caract\u00e8re r\u00e9volutionnaire de ce m\u00e9dia multisensoriel, qui diffuse en r\u00e9seau l’audio et le visuel.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

L’int\u00e9r\u00eat de cette analyse, r\u00e9side premi\u00e8rement dans le fait que l’aspect non interactif pour ne pas dire carr\u00e9ment abrutissant de la t\u00e9l\u00e9 est bas\u00e9 sur\u00a0la perception non consciente plut\u00f4t que sur la perception consciente et auditive d’un \u00ab\u00a0message\u00a0\u00bb. Deuxi\u00e8mement, la comparaison que l’on pourra faire entre l’\u00e9cran de t\u00e9l\u00e9vision et l’\u00e9cran de l’ordinateur, comparaison qui va nous faire passer d’un extr\u00eame \u00e0 l’autre sur le spectre de l’interactivit\u00e9, se situe sur ce m\u00eame plan, celui de la sensorialit\u00e9 et du tactile. L’image diffus\u00e9e \u00e9lectroniquement en continu diff\u00e8re de l’image num\u00e9rique virtuelle dans la mesure o\u00f9 je peux r\u00e9agir, je peux dialoguer, avec une r\u00e9alit\u00e9 simul\u00e9e et flexible. Comme le d\u00e9montre de Kerckhove, il y a bien un contact physique entre le t\u00e9l\u00e9spectateur et le t\u00e9l\u00e9viseur, mais on parle ici d’un toucher unidirectionnel qui fait de nous des \u00eatres tr\u00e8s plastiques une fois notre sens du jugement suspendu. Par contre, s’il \u00e9tait possible de rendre ce rapport bidirectionnel, la nouvelle sensorialit\u00e9 amen\u00e9e par la t\u00e9l\u00e9vision pourrait peut-\u00eatre devenir autre chose qu’un instrument de conditionnement des masses:<\/p>\n\n\n\n

\"\"<\/figure>\n\n\n\n

Une mani\u00e8re de dire que tout \u00e7a tourne autour d’une question de contr\u00f4le et que ce contr\u00f4le passe peut-\u00eatre par l’appropriation des donn\u00e9es num\u00e9riques de la part d’un utilisateur<\/em> plut\u00f4t que par l’\u00e9mission continue d’un signal \u00e9lectronique, un spectacle indissociable de sa source, soud\u00e9 qu’il est au r\u00e9el construit<\/em> par les r\u00e9alisateurs et leurs commanditaires. <\/p>\n\n\n\n

Il importe ici de souligner que l’image t\u00e9l\u00e9visuelle\u00a0n’est pas<\/em>\u00a0virtuelle malgr\u00e9 le fait qu’il s’agisse d’une projection directe de lumi\u00e8re. Car cette lumi\u00e8re emprisonne et paralyse le spectateur dans un \u00e9ternel pr\u00e9sent rendant impossible toute r\u00e9appropriation et distanciation6<\/sup>. Edmond Couchot souligne, pour sa part, le fait que l’image t\u00e9l\u00e9 est plus qu’une image cin\u00e9matographique sur laquelle une r\u00e9alit\u00e9 s’est imprim\u00e9e pour devenir\u00a0re-<\/em>pr\u00e9sentation. La TV repr\u00e9sente en m\u00eame temps qu’elle rend pr\u00e9sent un r\u00e9el et ce, au moment m\u00eame o\u00f9 il se construit lors de la diffusion. Dans toute son attisante lumi\u00e8re, la t\u00e9l\u00e9 impose une pr\u00e9sence, une temporalit\u00e9 caract\u00e9ris\u00e9e par l’imm\u00e9diatet\u00e9 ou la fatalit\u00e9 de son\u00a0\u00e9v\u00e9nement<\/em>. Pour Couchot, il est alors plus appropri\u00e9 ici de parler non pas de\u00a0pr\u00e9sentation<\/em>, ni de\u00a0repr\u00e9sentation<\/em>, mais de\u00a0surpr\u00e9sentation<\/em>\u00a0car \u00ab\u00a0la surpr\u00e9sentation t\u00e9l\u00e9visuelle fait co\u00efncider le temps de la r\u00e9alit\u00e9 saisie dans son \u00e9coulement, celui de son image et celui du regardeur7<\/sup>.\u00a0\u00bb Clou\u00e9 qu’il est dans l’\u00e9v\u00e9nement, le t\u00e9l\u00e9spectateur est en m\u00eame temps isol\u00e9 du pass\u00e9 et du futur:<\/p>\n\n\n\n

\"\"<\/figure>\n\n\n\n

Pour r\u00e9agir, dialoguer, r\u00e9pondre \u00e0 l’\u00e9cran je dois me lib\u00e9rer de cette emprise de la t\u00e9l\u00e9diffusion. Pour que je puisse devenir manipulateur et non plus manipul\u00e9, je dois pouvoir\u00a0prendre mon temps<\/em>\u00a0et d\u00e9poser gentiment l’\u00e9v\u00e9nement dans une m\u00e9moire vivante.\u00a0<\/em>L’actualit\u00e9<\/em>\u00a0de l’\u00e9v\u00e9nement pourra ainsi faire place \u00e0 l’\u00e9ventualit\u00e9<\/em>\u00a0puisque mon temps co\u00efncide maintenant avec le temps des calculs algorithmiques: \u00ab\u00a0La modalit\u00e9 temporelle des mondes virtuels est l’\u00e9ventualit\u00e9\u00a0\u00bb<\/em>, affirme Couchot quelques chapitres plus loin9<\/sup>. Bref, c’est peut-\u00eatre l’occasion pour nous de \u00ab\u00a0r\u00e9cup\u00e9rer notre autonomie (de Kerckhove)\u00a0\u00bb gr\u00e2ce \u00e0 la manipulation d’une r\u00e9alit\u00e9 virtuelle elle-m\u00eame autonome et qui fait du toucher un sens actif, un canal par lequel on peut traiter des donn\u00e9es, \u00e9changer, d\u00e9placer, transformer des pens\u00e9es; un canal de formation plut\u00f4t que de d\u00e9sinformation…\u00a0<\/p>\n\n\n\n

\"\"<\/figure>\n\n\n\n

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Nous avons vu que l’analogique se distingue du virtuel par son attachement \u00e0 quelque chose qui lui pr\u00e9existe. Une r\u00e9alit\u00e9 est capt\u00e9e sur le vif ou construite puis transf\u00e9r\u00e9e sur un support. Cette image n’est alors que l’estampe d’une r\u00e9alit\u00e9 pr\u00e9existante, une trace comme l’a d\u00e9montr\u00e9 Couchot, qui se fixe sur un support mat\u00e9riel. Par contre, … Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[5],"tags":[254],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/4400"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=4400"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/4400\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":4405,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/4400\/revisions\/4405"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=4400"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=4400"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=4400"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}