{"id":4415,"date":"1999-02-01T00:08:00","date_gmt":"1999-02-01T00:08:00","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=4415"},"modified":"2023-03-08T00:08:11","modified_gmt":"2023-03-08T00:08:11","slug":"fevrier-1999-lhypermedia-une-tactilite-sans-matiere-ii","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/fevrier-1999-lhypermedia-une-tactilite-sans-matiere-ii\/","title":{"rendered":"F\u00e9vrier 1999- L’hyperm\u00e9dia: une tactilit\u00e9 sans mati\u00e8re?\u00a0II"},"content":{"rendered":"\n

Si, comme nous l’avons vu dans la pr\u00e9c\u00e9dente partie, on peut davantage associer l’interactivit\u00e9 \u00e0 un rapport tactile qu’autorise la manipulation des objets mat\u00e9riels, la question qui se pose maintenant pour les hyperm\u00e9dias est la suivante : qu’en est-il de la mat\u00e9rialit\u00e9 d’un document visible \u00e0 l’\u00e9cran d’un ordinateur? De quelle nature physique est cette \u00ab\u00a0image\u00a0\u00bb num\u00e9rique? Quel est le support d’une page Web par exemple? <\/p>\n\n\n\n

Avant de r\u00e9pondre \u00e0 cette question, on doit souligner en premier lieu la grande diff\u00e9rence qui existe, du point de vue de la perception optique, entre les technologies de communication \u00ab\u00a0tangibles\u00a0\u00bb comme le livre, et les technologies num\u00e9riques (comme l’\u00e9cran de l’ordinateur). En fait, la page d’un livre est visible par la r\u00e9flexion de l’\u00e9clairage ambiant, alors que la page Web s’affiche par la projection directe de lumi\u00e8re. Cette luminosit\u00e9 des documents con\u00e7us pour l’\u00e9cran se pr\u00eate d’ailleurs \u00e0 de nouveaux effets formels abondamment exploit\u00e9s par les infographistes: profondeur, volume, relief, textures, transparence et jeux d’ombres; des effets qui ont trait aux qualit\u00e9s spatiales engendr\u00e9es par l’affichage lumineux. Comme si, derri\u00e8re la surface de verre du moniteur, nous avions un fond qui n’en est pas un, tel un espace infini ou ind\u00e9fini, qui peut prendre toutes les apparences selon les couleurs et les motifs. On peut donc difficilement comparer l’\u00e9cran d’un ordinateur \u00e0 la feuille de papier et ce, pour la simple et bonne raison que l’image de la premi\u00e8re est une \u00ab\u00a0projection\u00a0\u00bb sur un \u00ab\u00a0\u00e9cran\u00a0\u00bb, d’o\u00f9 la nature artificielle<\/em> des documents num\u00e9riques par opposition \u00e0 l’aspect r\u00e9el ou tangibles<\/em> des documents imprim\u00e9s. <\/p>\n\n\n\n

Si, du point de vue du support, on ne peut comparer l’image lumineuse \u00e0 l’image imprim\u00e9e, peut-on, en consid\u00e9rant maintenant le m\u00e9dia, comparer le disque num\u00e9rique au livre? Pour ce, il faut encore constater que la <\/strong>nature de l’information du v\u00e9hicule (le m\u00e9dia livre, le m\u00e9dia c\u00e9d\u00e9rom) diff\u00e8re \u00e9norm\u00e9ment. D’un c\u00f4t\u00e9 on a un code informatique bas\u00e9 sur le nombre qui ne peut \u00eatre pris en charge que par l’ordinateur et de l’autre, nous avons des langages qui sont pour nous directement intelligibles: l’\u00e9criture alphab\u00e9tique, le langage cod\u00e9 des formes et des couleurs, etc. Si dans leur mat\u00e9rialit\u00e9, les pages reli\u00e9es sont directement accessibles aux sens, l’information num\u00e9ris\u00e9e sur le disque, par contre, doit d’abord \u00eatre trait\u00e9e par l’ordinateur. En plus de traduire des donn\u00e9es enregistr\u00e9es sous forme de bits<\/em>, l’ordinateur g\u00e8re des interfaces qui font en sorte que le code binaire puisse faire l’objet d’une perception sensorielle. L’information v\u00e9hicul\u00e9e par le support-disque ne peut donc \u00eatre d\u00e9voil\u00e9e sans l’interface physique qu’est le moniteur vid\u00e9o et sans les images en mode graphique (Interface Graphique d’Utilisateur (GUI)) qui agissent comme interm\u00e9diaire entre l’homme et la machine. <\/p>\n\n\n\n

Donc, en ce qui concerne la nature physique des documents visibles \u00e0 l’\u00e9cran, on constate que ces documents hyperm\u00e9dias (ou hyperdocuments comme le dit Pierre L\u00e9vy)1<\/sup>\u00a0sont d\u00e9pourvus de mat\u00e9rialit\u00e9, puisque nous sommes ici dans un mode compl\u00e8tement virtuel tant du point de vue du support que du m\u00e9dia. Selon Edmond Couchot, l’image num\u00e9rique se caract\u00e9rise – dans ce qu’elle a de fondamentalement nouveau – par le fait qu’elle soit issue d’un \u00ab\u00a0processus computationnel\u00a0\u00bb: l’ordinateur calcule des donn\u00e9es num\u00e9riques et les transpose sur la grille de pixels \u00e0 la surface de l’\u00e9cran. \u00c9tant le r\u00e9sultat d’un algorithme, l’image serait donc\u00a0virtuelle,<\/em>\u00a0ce qui lui donnerait une r\u00e9alit\u00e9 tout autre que physique, une r\u00e9alit\u00e9\u00a0simul\u00e9e<\/em>.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

\"\"<\/figure>\n\n\n\n

Les jeux d’ombres, de volumes, etc., contribuent \u00e0 ce titre \u00e0 sugg\u00e9rer un espace virtuel, un espace logique et intelligible qui n’est pas n\u00e9cessairement illusionniste3<\/sup>, un lieu autonome, abstrait, \u00ab\u00a0sans\u00a0topos<\/em>\u00a0\u00bb bref, un espace \u00ab\u00a0utopique\u00a0\u00bb4<\/sup>. L’ombre port\u00e9e d’un lettrage, par exemple, reprend une logique de l’\u00e9clairage sans chercher \u00e0 reproduire une r\u00e9alit\u00e9 originale5<\/sup>.<\/p>\n\n\n\n

De plus, pour faire en sorte que la r\u00e9alit\u00e9 virtuelle soit aussi interactive, il faudrait voir comment on peut \u00e9tablir un rapport tactile avec un objet d\u00e9pourvu de mat\u00e9rialit\u00e9. Comment, en effet, intervenir sur ce qui n’est que lumi\u00e8re, comment manipuler une r\u00e9alit\u00e9 simul\u00e9e et \u00e9vanescente? C’est ici qu’intervient la notion d’interface, car l’image dont il est question (un contenu quelconque affich\u00e9 \u00e0 l’\u00e9cran) n’a rien de statique et de d\u00e9finitif comme l’image peinte ou imprim\u00e9e. N’\u00e9tant qu’un algorythme, l’image virtuelle devient alors un objet dynamique extr\u00eamement flexible. Et si la projection lumineuse de l’\u00e9cran fait simplement appara\u00eetre ce qui se calcule dans les circuits int\u00e9gr\u00e9s de l’ordinateur, ceux-ci peuvent alors r\u00e9agir \u00e0 nos interventions et produire instantan\u00e9ment d’autres images, chose qu’on ne peut r\u00e9aliser avec les technologies analogiques. L’information se lib\u00e8re ainsi de la mati\u00e8re!<\/p>\n\n\n\n

\"\"<\/figure>\n\n\n\n

Tout contenu apparaissant \u00e0 l’\u00e9cran devient donc modifiable dans la mesure o\u00f9 les puces et les programmes de l’ordinateur peuvent r\u00e9agir \u00e0 d’autres interfaces physiques que sont, entre autres, le clavier et la souris. Dans mon traitement de texte, par exemple, je peux librement intervenir sur ce qui est, en fait, la simulation d’une composition typographique imprim\u00e9e, comme si, dans mon environnement virtuel, les caract\u00e8res demeuraient toujours \u00ab\u00a0mobiles\u00a0\u00bb. Ainsi, la machine devient sensible \u00e0 nos interventions physiques. Cela nous permet d’interagir sur l'\u00a0\u00bbimage\u00a0\u00bb qu’elle g\u00e9n\u00e8re, chose impossible avec une image issue d’un proc\u00e9d\u00e9 de transfert. Dans ce contexte, le support num\u00e9rique (disques durs et souples) a beaucoup moins d’importance du point de vue de la tactilit\u00e9. Son r\u00f4le se limite en fait \u00e0 m\u00e9moriser l’\u00e9tat d’un processus, toujours r\u00e9actualisable et modifiable, ce qui n’a plus rien \u00e0 voir avec l’enregistrement d’une trace d\u00e9finitivement fig\u00e9e dans le temps7<\/sup>.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

En plus d’\u00eatre \u00ab\u00a0calcul\u00e9 par ordinateur\u00a0\u00bb, l’image num\u00e9rique a une autre caract\u00e9ristique selon Couchot, soit celle d’interagir<\/em>\u00a0(ou de \u00ab\u00a0dialoguer\u00a0\u00bb) avec celui qui les cr\u00e9e ou celui qui les regarde8<\/sup>\u00ab\u00a0. Et ce qu’il faut retenir ici, c’est que la possibilit\u00e9 d’un dialogue est assortie d’un haut niveau de tactilit\u00e9 qui, en \u00e9tant coupl\u00e9 avec l’oeil, permet un mode de consultation et de conception – car l’utilisateur et le concepteur utilisent les m\u00eames instruments, les m\u00eames interfaces – dans lequel se d\u00e9veloppe une toute nouvelle sensorialit\u00e9. Dans la troisi\u00e8me et derni\u00e8re partie de notre article, nous verrons de fa\u00e7on plus pr\u00e9cise en quoi consiste cette nouvelle tactilit\u00e9, ce qu’elle offre de plus que la lecture traditionnelle, le balayage ou le zapping des ondes.<\/p>\n\n\n\n

Notes<\/h2>\n\n\n\n

[1]\u00a0\u00ab\u00a0Un hypertexte est un texte num\u00e9ris\u00e9, reconfigurable et fluide. Il est compos\u00e9 de blocs \u00e9l\u00e9mentaires raccord\u00e9s par des liens explorables en temps r\u00e9el sur \u00e9cran. La notion d’hyperdocument g\u00e9n\u00e9ralise \u00e0 toutes les cat\u00e9gories de signes (images fixes anim\u00e9es, sons, etc.) le principe du message en r\u00e9seau mobile qui caract\u00e9rise l’hypertexte\u00a0\u00bb (Pierre L\u00e9vy,\u00a0Cyberculture: Rapport au Conseil de l’Europe dans le cadre du projet\u00a0<\/em>\u00ab\u00a0Nouvelles technologies: coop\u00e9ration culturelle et communication<\/em>\u00ab\u00a0, Paris: \u00c9ditions Odile Jacob, 1997, p. 29, note 3.)<\/p>\n\n\n\n

[2]\u00a0Edmond Couchot,\u00a0La technologie dans l’art : De la photographie \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 virtuelle<\/em>, N\u00eemes,\u00c9ditions Jacqueline Chambon, 1998, p. 145\u00a0<\/p>\n\n\n\n

[3]\u00a0\u00ab\u00a0Cet effet de r\u00e9el est souvent si puissant – en tout cas il tend \u00e0 l’\u00eatre – qu’on est tent\u00e9 de confondre simulation et simulacre. La r\u00e9alit\u00e9 virtuelle serait ainsi un \u00e9tat paroxystique du simulacre. Si les deux termes ont la m\u00eame racine (simulare<\/em>: imiter, feindre), la simulation\u00a0 (num\u00e9rique) ne cherche ni \u00e0 imiter ni \u00e0 feindre le r\u00e9el, avec la volont\u00e9 secr\u00e8te de nous \u00e9garer. Elle cherche, en revanche, \u00e0 lui substituer un mod\u00e8le logico-math\u00e9matique qui est non pas une image trompeuse comme le simulacre mais une interpr\u00e9tation formalis\u00e9e de la r\u00e9alit\u00e9 dict\u00e9e par les lois de la rationalit\u00e9 scientifique.\u00a0\u00bb\u00a0Ibid<\/em>, p. 146\u00a0<\/p>\n\n\n\n

[4]\u00a0\u00ab\u00a0Dans la simulation, l’espace n’est ni l’espace physique o\u00f9 baignent nos corps et circule notre regard, ni l’espace mental produit par notre cerveau. C’est un espace sans lieu d\u00e9termin\u00e9, sans substrat mat\u00e9riel (…), un espace sans\u00a0topos<\/em>, o\u00f9 toutes les dimensions, toutes les lois d’associations, de d\u00e9placements, de translations, de projections, toutes les topologies, sont th\u00e9oriquement possibles: c’est un espace\u00a0utopique.<\/em>\u00a0\u00bb\u00a0Ibid<\/em>, p. 137\u00a0<\/p>\n\n\n\n

[5]\u00a0Dans le site\u00a0Anti:Rom-the antidote<\/em>, on retrouve dans le menu une simulation du courant (le mouvement de l’eau) qui change selon la position du curseur. On a une simulation du rebondissement dans\u00a0Throw<\/em>, de la gravit\u00e9 dans\u00a0Drip<\/em>, de l’\u00e9lasticit\u00e9 sur\u00a0Future<\/em>\u00a0d’Antoine Schmitt et dans\u00a0Fidget<\/em>\u00a0de Kenneth Goldsmith.<\/p>\n\n\n\n

[6]\u00a0Edmond Couchot,\u00a0La technologie dans l’art,<\/em>\u00a0p. 136.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

[7]\u00a0Il faudra aussi reprendre cette question du rapport physique avec les \u00ab\u00a0supports\u00a0\u00bb informatiques avec la venue des lecteurs de fichiers audio MP3 et des livres \u00e9lectroniques, des technologies qui pourront fonctionner sans disques. Pour en savoir plus sur cette nouvelle technologie qu’est le livre \u00e9lectronique on peut consulter\u00a0le site Branch\u00e9 de Radio-Canada. Par ailleurs, dans le site\u00a0De l’imprim\u00e9 \u00e0 Internet<\/em>, r\u00e9alis\u00e9 par Marie-France Lebert, on trouve beaucoup d’informations et de r\u00e9flexions concernant les nouveaux rapports \u00e0 d\u00e9finir entre le monde de l’imprim\u00e9 et Internet.<\/p>\n\n\n\n

[8]\u00a0Edmond Couchot,\u00a0La technologie dans l’art<\/em>, p. 134.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Si, comme nous l’avons vu dans la pr\u00e9c\u00e9dente partie, on peut davantage associer l’interactivit\u00e9 \u00e0 un rapport tactile qu’autorise la manipulation des objets mat\u00e9riels, la question qui se pose maintenant pour les hyperm\u00e9dias est la suivante : qu’en est-il de la mat\u00e9rialit\u00e9 d’un document visible \u00e0 l’\u00e9cran d’un ordinateur? De quelle nature physique est cette … Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[5],"tags":[254],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/4415"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=4415"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/4415\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":4419,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/4415\/revisions\/4419"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=4415"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=4415"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=4415"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}