{"id":4491,"date":"1998-11-01T21:07:31","date_gmt":"1998-11-01T21:07:31","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=4491"},"modified":"2023-03-13T21:07:41","modified_gmt":"2023-03-13T21:07:41","slug":"novembre-1998-fidget-lavenir-du-temps","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/novembre-1998-fidget-lavenir-du-temps\/","title":{"rendered":"Novembre 1998 – Fidget<\/i>\u00a0: l’avenir du temps"},"content":{"rendered":"\n

Sait-on \u00e0 quel point la temporalit\u00e9 d\u00e9termine notre fa\u00e7on d’organiser et de se repr\u00e9senter le monde? On structure les faits, r\u00e9els ou fictifs, en les liant par la causalit\u00e9; on se cr\u00e9e des r\u00e9cits qui forment des cha\u00eenes temporelles, des bouts d’histoires qui ont toujours pour but de convaincre. Et les histoires qui nous emportent le plus ne sont jamais les plus vraies, mais les plus cr\u00e9dibles. On peut en faire l’exp\u00e9rience avec le texte de\u00a0Fidget<\/em>\u00a0qui fait partie d’une oeuvre en ligne pr\u00e9sent\u00e9e par\u00a0Stadium. Tout d\u00e9bute par la transcription d’un enregistrement dans lequel l’\u00e9crivain Kenneth Goldsmith d\u00e9crit d’une mani\u00e8re syst\u00e9matique et maniaque tous les mouvements de son corps un 16 juin 1997, et ce pendant une p\u00e9riode cons\u00e9cutive de 13 heures. Le site\u00a0Fidget<\/em>\u00a0est en fait une des mises en forme auquel le texte s’est pr\u00eat\u00e91<\/sup>.<\/p>\n\n\n\n

La version de\u00a0Fidget<\/em>\u00a0pr\u00e9sent\u00e9e sur le web est un tr\u00e8s anim\u00e9 applet Java dans lequel flottent des bouts de phrases qui ont la bougeotte (en fait, on traduit en fran\u00e7ais le mot\u00a0fidget<\/em>\u00a0par le fait de gigoter ou d’avoir la bougeotte). Et difficile est la lecture, tellement \u00e7a bouge. Le texte cesse alors de signifier pour se perdre dans une mouvante composition typographique dont les segments, reli\u00e9s par des fils, dansent, se superposent et se confondent au gr\u00e9 des interventions de l’utilisateur. Ce n’est donc pas le r\u00e9cit qui lie les courtes phrases entre elles mais bien plut\u00f4t de petits traits aussi graphiques qu’\u00e9lastiques. De plus, on apprend rapidement \u00e0 manipuler les \u00e9l\u00e9ments \u00e0 l’aide de la souris. Pour faire cesser le vacillement, par exemple, il suffit de prendre une couette de fils et de la tirer d’un c\u00f4t\u00e9 ou de l’autre. Le dynamisme du dispositif formel se situe dans la tradition des calligrammes d’Appolinaire et des exp\u00e9rimentations typographiques des dada\u00efstes2<\/sup>\u00a0et s’oppose en tout point au contenu textuel.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

Fidget<\/em> a une source litt\u00e9raire, soit un texte produit par un \u00e9crivain mais qui ne semble pas trop port\u00e9 vers la \u00ab litt\u00e9rature \u00bb. Un texte, donc, qui repr\u00e9sente un r\u00e9el d\u00e9fi pour le lecteur car on y trouve aucune \u00e9vocation, m\u00e9taphore ou sentiment. \u00c0 la limite, on cherche des allusions au langage corporel dans ce qui est en fait une objective et froide \u00e9num\u00e9ration (m\u00eame pas une description) de tous les petits gestes ou fr\u00e9tillements (jusqu’au plus intimes) que le corps peut produire en une journ\u00e9e. \u00c7a va de la jambe qui pend, au reniflement, en passant par l’oeil qui regarde le nez. L’auteur fait preuve de rigueur non seulement dans le souci du d\u00e9tail et dans la pr\u00e9cision de l’observation mais aussi dans la mise en s\u00e9quence des faits report\u00e9s. Leur lin\u00e9arit\u00e9, de m\u00eame que la lin\u00e9arit\u00e9 du texte et du temps, est soulign\u00e9e par la notation de l’heure, plac\u00e9e au d\u00e9but de chaque paragraphe. Aucun emportement n’est possible dans cette suite extr\u00eamement statique d’actions insignifiantes, racont\u00e9e<\/em> par un auteur qui ne cherche d’aucune fa\u00e7on \u00e0 faire dramatique, d\u00e9pourvue qu’il est d’ailleurs de toute esp\u00e8ce de conviction. Si drame il y a, il prend la forme d’une pens\u00e9e t\u00e9flon qui glisse sur la surface du corps et qui tourne en d\u00e9rision une litt\u00e9rature de la sensibilit\u00e9 pour ne faire ressortir finalement que la pure et assommante lin\u00e9arit\u00e9 du temps et de l’\u00e9criture. <\/p>\n\n\n\n

D’un autre cot\u00e9, Fidget<\/em> (le texte) est mis en forme dans un applet interactif<\/strong>. La plasticit\u00e9 de cet espace anim\u00e9 lui donne une tout autre dimension.<\/em> Et l\u00e0, l’auteur cherche visiblement \u00e0 r\u00e9activer notre int\u00e9r\u00eat. On appr\u00e9cie le jeu typographique, les bouts de phrases qui s’entrechoquent et s’agitent; on manipule la souris et \u00e7a devient ludique. La lin\u00e9arit\u00e9 du texte et du temps est encore pr\u00e9sente toutefois : un chronom\u00e8tre marque le temps au centre et les \u00e9nonc\u00e9s surgissent et s’estompent dans un ordre s\u00e9quentiel. Par contre, la temporalit\u00e9 perd un peu de sa lin\u00e9arit\u00e9 dans la mesure o\u00f9 celle-ci est spatialis\u00e9e et mise en image. <\/p>\n\n\n\n

Du m\u00eame coup, il y a une perte de lisibilit\u00e9<\/em> du texte au profit d’une visibilit\u00e9<\/em> du temps<\/strong>. <\/p>\n\n\n\n

C’est dans ce paradoxe que r\u00e9side tout l’int\u00e9r\u00eat de Fidget<\/em>, int\u00e9r\u00eat qui laisse pr\u00e9sager bien des r\u00e9flexions sur les rapports que nous allons \u00e9tablir avec les nouvelles technologies de la communication, rapports qui concernent l’avenir de l’\u00e9crit, celui de l’image et de leur union dans un environnement multim\u00e9dia. Le paradoxe est le suivant: le texte Fidget<\/em> est d\u00e9pourvu de tout pouvoir suggestif tellement il est lin\u00e9aire, quand on le lit on cesse de voir<\/em>. L’applet, quant \u00e0 lui, nous donne une image<\/em> du texte et du temps, \u00e7a bouge et \u00e7a s’emm\u00eale. Et curieusement, quand on commence \u00e0 voir<\/em> la lin\u00e9arit\u00e9 du texte, on cesse de lire!<\/p>\n\n\n\n

Notes<\/h2>\n\n\n\n

[1] Tel qu’indiqu\u00e9 dans le\u00a0communiqu\u00e9 de presse\u00a0,\u00a0Fidget<\/em>\u00a0fut d’abord l’objet d’une performance au Whitney (\u00e0 Philip Morris) le 16 juin 1998 avec la participation du chanteur Theo Bleckman dont les interpr\u00e9tations musicales du texte de Goldsmith sont disponibles sur le site. La parution d’un c\u00e9d\u00e9rom est pr\u00e9vue et le texte a \u00e9t\u00e9 aussi la source d’une installation gr\u00e2ce, cette fois-ci, \u00e0 la collaboration de la couturi\u00e8re Sydney Maresca. L’oeuvre Web est r\u00e9alis\u00e9 avec l’aide du programmeur Clem Paulsen qui a con\u00e7u d’applet.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

[2] Goldsmith est l’\u00e9diteur de\u00a0UbuWeb Visual, Concrete + Sound Poetry\u00a0dans lequel on retrouve les explorations d’une po\u00e9sie qui, comme le nom du site l’indique, est autant visuelle en plus d’\u00eatre textuelle. Le site pr\u00e9sente les travaux d’artistes contemporains et il contient un volet historique o\u00f9 l’on retrouve, entre autres, les oeuvres d’Apollinaire et celles des dadaiste. Les documents audio archiv\u00e9s sont aussi d’un grand int\u00e9r\u00eat.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

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