Rien dans l\u2019art que nous connaissons ne ressemble \u00e0 l\u2019\u0153uvre d\u2019\u00c9ric Duyckaerts. Pour cette raison, le m\u00e9tadiscours que l\u2019on peut, potentiellement, tenir, n\u2019aura pas de consistance, et avant tout pas de successivit\u00e9 sur aucune hypoth\u00e9tique ligne phylog\u00e9n\u00e9tique. Dans cette affirmation, il ne s\u2019agit pas de l\u2019exception que sa posture aurait pu constituer. L\u2019homme conscient de ses finitudes, il les offrait en performance. Et si l\u2019on peut effectivement affirmer que de performance il s\u2019agissait, c\u2019est bien pour cette qualit\u00e9 de vacillement avec lequel son contenu arrivait \u00e0 la surface monstrative et auditive, pour faire sens pour celui qu\u2019hypoth\u00e9quait sa propre performance heuristique, \u00e0 la poursuite du discours de Duyckaerts.<\/p>\n\n\n\n
\u00ab Performance \u00bb est ici \u00e0 prendre au premier degr\u00e9 : l\u2019accomplissement des capacit\u00e9s cognitives, la force assertorique avec laquelle la repr\u00e9sentation du monde et la d\u00e9cision d\u2019y intervenir par l\u2019action perceptive et mentale, cheminent de l\u2019ontologie putative \u00e0 l\u2019ontologie tout court. Autrement dit, l\u2019exception duyckaertsienne n\u2019est pas l\u00e0 pour le situer, entre Jacques Liz\u00e8ne et les Fluxusiens, ou avant ceux qui s\u2019att\u00e8leront encore au d\u00e9chiffrage de son corpus vid\u00e9ographique, mais bien pour faire performer avec elle le r\u00e9el issu des ratiocinations auxquelles se sont livr\u00e9s nos p\u00e8res et nos pairs. C\u2019est une affaire de d\u00e9monstration.<\/p>\n\n\n\n
Nous nous sommes attard\u00e9s, un beau jour \u00e0 Nice, sur ce fragment de Faust\u00a0: \u00ab\u00a0Voici une liqueur que je dois boire pieusement, elle te remplit de ses flots noir\u00e2tres ; je l\u2019ai pr\u00e9par\u00e9e, je l\u2019ai choisie, elle sera ma boisson derni\u00e8re, et je la consacre avec toute mon \u00e2me, comme libation solennelle, \u00e0 l\u2019aurore d\u2019un jour plus beau.\u00a0\u00bb (G\u0153the, Faust, premi\u00e8re partie, traduction de G\u00e9rard de Nerval, Gosselin, Paris, 1840). L\u2019inoculation d\u2019une cause externe qui deviendrait notre int\u00e9rieur, \u00e0 but didactique\u2026 La coupe, comme la fiole dans laquelle est n\u00e9 l\u2019homme artificiel, dans le laboratoire de Wagner, le successeur de Faust, est un r\u00e9cipient o\u00f9 nous pr\u00e9parons la d\u00e9monstration de nous-m\u00eames. Notre performance vocale s\u2019\u00e9chappe \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur \u00e0 force de notre \u00e9nergie contenue \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur. C\u2019est le ratio qui s\u2019\u00e9tablit continuellement entre les deux qui capte, en tant qu\u2019acte performatif, l\u2019attention empathique. Et pour \u00eatre la renaissance ou \u00ab\u00a0l\u2019aurore\u00a0\u00bb, l\u2019acte doit recommencer chaque fois \u00e0 z\u00e9ro, tel l\u2019espace disruptif des possibles.<\/p>\n\n\n\n
\u00c9ric Duyckaerts m\u2019en a donn\u00e9 une \u00e9tonnante exemplification : baign\u00e9 depuis l\u2019enfance dans le savoir, rompu \u00e0 la logique sous l\u2019angle des proc\u00e9dures d\u00e9ductives et probatoires, il a con\u00e7u, avec ma complicit\u00e9, le projet d\u2019un faux colloque sur la \u00ab savance \u00bb. Un \u00e9minant h\u00e9ritier de l\u2019\u00e9cole de logique de Lvov-Varsovie passait par Nice. L\u2019occasion de tester le concept nous souriait. La pr\u00e9sentation, honn\u00eate, a eu lieu et \u00c9ric a commenc\u00e9 \u00e0 naviguer sur la couche nomenclaturale, comme chez Perec (Perec, 1991), du sujet pr\u00e9par\u00e9 \u00e0 l\u2019avance. Son acribie a mis aussit\u00f4t notre cobaye en admiration. Le statut d\u2019artiste dont \u00c9ric se pr\u00e9valait n\u2019\u00e9tait plus perceptible pour aucun des protagonistes. La supercherie aurait pu se d\u00e9rouler ind\u00e9finiment, nous avions notre colloque. Mais avec le premier \u00ab vrai \u00bb probl\u00e8me surgi de l\u2019immersion dans notre environnement, \u00c9ric s\u2019est mis dans un \u00e9tat cr\u00e9atif, il ne performait plus un sc\u00e9nario mais engageait le traitement des informations contenues dans la complexit\u00e9 des pr\u00e9misses de son probl\u00e8me. Le d\u00e9roulement de la s\u00e9ance n\u2019\u00e9tait plus pr\u00e9visible et l\u2019interlocuteur a commenc\u00e9 \u00e0 engager ses convictions et bient\u00f4t ses propres \u00e9motions. Il fallait interrompre rapidement l\u2019exercice\u2026<\/p>\n\n\n\n
C\u2019est \u00e0 ce moment que je me suis rendu compte du r\u00e9el potentiel scientifique d\u2019\u00c9ric Duyckaerts. Contrairement \u00e0 ce qu\u2019on aurait pu croire, ses performances n\u2019oscillaient pas sur la mince or\u00e9e entre le vrai et le faux, puisqu\u2019aucun probl\u00e8me nomm\u00e9 dans ses productions n\u2019\u00e9tait convoqu\u00e9 sous son vari nom. Le seul objet v\u00e9ridique sur lequel il travaillait, c\u2019\u00e9tait l\u2019art lui-m\u00eame, l\u2019art dont Duyckaerts a \u00e9t\u00e9 un sp\u00e9cimen personnifi\u00e9 et d\u00e9monstratif. Si donc l\u2019art aura, dans la premi\u00e8re moiti\u00e9 du 21\u00e8me si\u00e8cle, sa contribution d\u00e9cisive dans la connaissance de la cognition, Duyckaerts par son autodidactique jouera sur ce champ le r\u00f4le de pr\u00e9curseur.<\/p>\n\n\n\n