{"id":494,"date":"2019-03-01T14:42:04","date_gmt":"2019-03-01T14:42:04","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=494"},"modified":"2022-10-19T14:42:19","modified_gmt":"2022-10-19T14:42:19","slug":"mars-2019-investigation-sensible-autour-du-corps-emeutieret-de-son-potentiel-representationnel","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/mars-2019-investigation-sensible-autour-du-corps-emeutieret-de-son-potentiel-representationnel\/","title":{"rendered":"Mars 2019 – Investigation sensible autour du corps \u00e9meutieret de son potentiel repr\u00e9sentationnel"},"content":{"rendered":"\n

Cet article se propose de questionner dans un premier temps le corps par le prisme de la pens\u00e9e politique, du spectacle vivant et des r\u00e9seaux sociaux. Il y sera principalement question de la corpor\u00e9it\u00e9 et des \u00e9tats de corps (Guisgand, 2012) des \u00e9meutiers et \u00e9meuti\u00e8res. Ces corps r\u00e9volt\u00e9s exp\u00e9rimentent l\u2019\u00e9meute par la constitution de r\u00e9seaux d\u2019intensit\u00e9s et de forces intrins\u00e8ques \u00e0 l\u2019intercorpor\u00e9it\u00e9 (Bernard, 2012). Ils sont l\u2019av\u00e8nement des singularit\u00e9s quelconques annonc\u00e9es par\u00a0Agamben\u00a0c\u2019est-\u00e0-dire des \u00eatres singuliers, mais sans identit\u00e9 faisant l\u2019exp\u00e9rience d\u2019une puissance immanente et d\u2019un corps communicable. Ils forment une communaut\u00e9 subjective op\u00e9rante par le partage d\u2019images et de vid\u00e9os (Bertho, 2016), un collectif qui se prolonge gr\u00e2ce au num\u00e9rique. En effet, la diffusion des vid\u00e9os d\u2019\u00e9meutes est d\u00e9sormais indissociable de son exp\u00e9rience elle-m\u00eame (Bertho, 2016) et leur diffusion s\u2019inscrit dans la constitution d\u2019une \u00ab\u00a0communaut\u00e9 \u00bb engendr\u00e9e par leur visualisation \u00e0 grande \u00e9chelle men\u00e9 dans un deuxi\u00e8me temps, une r\u00e9flexion dramaturgique sur le potentiel repr\u00e9sentationnel du corps \u00e9meutier polymorphe par le prisme de la sc\u00e8ne, des r\u00e9seaux sociaux et de la vid\u00e9o. Par l\u2019entremise du spectacle vivant, les performeurs mettent en acte, \u00e0 leur tour, la performativit\u00e9 politique du corps \u00e9meutier gr\u00e2ce \u00e0 la contamination des \u00e9tats de corps g\u00e9n\u00e9r\u00e9s par la visualisation abondante des vid\u00e9os d\u2019\u00e9meutes. Ce sont des corps \u2013 sur sc\u00e8ne, dans la rue et sur les r\u00e9seaux sociaux \u2013 qui cherchent \u00e0 s\u2019instituer dans l\u2019espace politique sans avoir recours \u00e0 un proc\u00e9d\u00e9 discursif. Les lignes de fuite entre les diff\u00e9rents corps per\u00e7us dans l\u2019\u00e9meute soit\u00a0le corps\u00a0: concret, signifiant, commun et polymorphe seront interrog\u00e9s \u00e0 l\u2019aide de l\u2019analyse ph\u00e9nom\u00e9nologique de la violence \u00e9meuti\u00e8re\u00a0:\u00a0Formes, sens et exp\u00e9riences sensibles de l\u2019\u00e9meute<\/em>\u00a0men\u00e9e par le chercheur (Romain Hu\u00ebt, 2018). L\u2019analyse sera \u00e9galement nourrie par le processus de cr\u00e9ation que j\u2019ai men\u00e9 en tant qu\u2019artiste-chercheuse et militante sur six mois en vue des repr\u00e9sentations de l\u2019essai sc\u00e9nique,\u00a0L\u2019\u00e9meute est une f\u00eate (pour corps polymorphes).\u00a0<\/em>Cet essai sc\u00e9nique s\u2019inscrivant dans une recherche-cr\u00e9ation mettait en relief la polymorphie et la performativit\u00e9 politique des corps \u00e9meutiers en les donnant \u00e0 voir et \u00e0 sentir par une s\u00e9rie de variations d\u2019\u00e9tats de corps. L\u2019objet sc\u00e9nique, bas\u00e9 sur une \u00e9criture de cinq tableaux composites au sein desquels \u00e9voluaient une dizaine de performeurs et performeuses articulait un jeu de tensions constant entre corpor\u00e9it\u00e9 et intercorpor\u00e9it\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Par cette recherche-cr\u00e9ation, j\u2019ai voulu d\u00e9ployer une r\u00e9flexion sensible sur la br\u00e8che \u00e9ph\u00e9m\u00e8re qu\u2019ouvre la prise violente et soudaine de l\u2019espace public. Si l\u2019\u00e9meute n\u2019a que faire des institutions et s\u2019exp\u00e9rimente dans la rue et non au th\u00e9\u00e2tre, j\u2019ai tent\u00e9 le pari d\u2019en capter le tourbillon de sensations qu\u2019elle laisse chez celles et ceux qui l\u2019\u00e9prouvent. Je m\u2019int\u00e9resse aux \u00e9tats int\u00e9rieurs engendr\u00e9s par l\u2019\u00e9meute et leurs multiples possibilit\u00e9s de repr\u00e9sentation. Les corps \u00e9meutiers s\u2019incarnent dans le<\/em> politique, de cet enchev\u00eatrement de corps \u00e9merge une vibration qui fait barri\u00e8re \u00e0 la<\/em> politique. Cette vibration est une barricade et celle-ci ouvre une br\u00e8che sur un autre monde. L\u2019exploration des \u00e9tats de corps et des corpor\u00e9it\u00e9s \u00e9meuti\u00e8res nous a permis de \u00ab parler le m\u00eame langage \u00bb que l\u2019\u00e9meute : celui des sens.<\/p>\n\n\n\n

Mais tout d\u2019abord, il faut reconnaitre que l\u2019\u00e9meute, plus souvent qu\u2019autrement per\u00e7ue de fa\u00e7on n\u00e9gative, rime avec d\u00e9sordre, violence et instabilit\u00e9. Pourtant l\u2019\u00e9meute politique est un sujet criant d\u2019actualit\u00e9 qui ne semble pas en voie de s\u2019essouffler. En fait, selon les recherches d\u2019Alain Bertho, les \u00e9meutes se multiplient mondialement depuis le d\u00e9but des ann\u00e9es 2000. De son c\u00f4t\u00e9,\u00a0Francis Dupuis-D\u00e9ri\u00a0fait valoir que la strat\u00e9gie du black bloc,\u00a0apparue \u00e0 Berlin-Ouest au d\u00e9but des ann\u00e9es 1980 et employ\u00e9e plus couramment apr\u00e8s le\u00a0Sommet de l\u2019OMC \u00e0 Seattle en 1999\u00a0, connait tout particuli\u00e8rement depuis 2010 un essor majeur en Occident (2016). L\u2019\u00e9meutier et l\u2019\u00e9meuti\u00e8re se trouvent malmen\u00e9s et d\u00e9cri\u00e9s dans l\u2019espace public. La r\u00e9cup\u00e9ration m\u00e9diatique de ces corps nous pr\u00e9sente la plupart du temps une vision unilat\u00e9rale, suppos\u00e9ment apolitique d\u2019individu en proie \u00e0 une \u00e9motion irrationnelle comme le note Dupuis-D\u00e9ri. C\u2019est donc en tant qu\u2019artiste-chercheuse ayant moi-m\u00eame fait l\u2019exp\u00e9rience de la rue et m\u2019inscrivant dans une communaut\u00e9 qui consomme ces vid\u00e9os d\u2019\u00e9meutes que je cherche \u00e0 donner un autre aper\u00e7u de ces corps.<\/p>\n\n\n\n

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TOPSHOT \u2013 A protester prepares to throw a Molotov cocktail at riot forces as clashes erupt during a police operation to raze the decade-old camp known as ZAD (Zone a Defendre \u2013 Zone to defend) at Notre-Dame-des-Landes, near the western city of Nantes on April 10, 2018, and evict the last of the protesters who had refused to leave despite the government agreeing to ditch a proposed airport. French police battled to evict anti-airport protesters and the creators of an alternative anti-capitalist settlement in western France during a second day of clashes. Some 2,500 officers raided the decade-old camp at Notre-Dame-des-Landes on April 9, destroying makeshift buildings topped with corrugated iron, a giant tent, a watchtower, and a sheep shed and cheese-making area.
\/ AFP \/ LOIC VENANCE<\/p>\n\n\n\n

Mais attardons-nous sur l\u2019\u00e9meute en elle-m\u00eame. Comment le politique s\u2019articule dans l\u2019\u00e9meute? Alain Bertho, professeur \u00e0\u00a0Paris 8\u00a0explique que l\u2019\u00e9meute na\u00eet lorsqu\u2019il y a un effondrement des repr\u00e9sentations des identit\u00e9s collectives par les diff\u00e9rents dispositifs sociaux et politiques. Loin d\u2019\u00eatre des violences aveugles, elles sont des r\u00e9cits non discursifs d\u2019une accumulation de col\u00e8re et d\u2019injustices subies.\u00a0<\/em>L\u2019\u00e9meute est une nouvelle forme d\u2019\u00e9criture visuelle, elle s\u2019inscrit dans la \u00ab\u00a0soci\u00e9t\u00e9 du spectacle\u00a0\u00bb qui prolif\u00e8re gr\u00e2ce \u00e0 la d\u00e9mocratisation du num\u00e9rique et du virtuel (Bertho, 2016). Il est d\u2019ailleurs difficile de discerner la localisation de l\u2019\u00e9meute film\u00e9e, car les sujets se ressemblent et que le ph\u00e9nom\u00e8ne de l\u2019\u00e9meute semble d\u00e9tenir un mode op\u00e9ratoire similaire \u00e0 travers le monde. G\u00e9n\u00e9ralement sur fond urbain, on y filme des silhouettes encagoul\u00e9es, v\u00eatues de noir, une pierre \u00e0 la main se mouvant dans la fum\u00e9e non loin d\u2019un incendie de poubelle ou de voiture. Le langage corporel de l\u2019insurg\u00e9 semble, \u00e0 en croire les vid\u00e9os, s\u2019\u00eatre mondialis\u00e9 (Bertho, 2014). La publication de ces vid\u00e9os s\u2019inscrit d\u00e9sormais dans cette nouvelle \u00e9criture visuelle, comme un prolongement naturel de l\u2019acte de r\u00e9volte. Le partage massif de ces vid\u00e9os cr\u00e9e ainsi des effets de r\u00e9sonance entre les \u00e9meutes.<\/p>\n\n\n\n

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Ex\u00e1rcheia, Gr\u00e8ce<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Ces images ne tiennent aucun propos, elles ne revendiquent pas. Comme Bertho le mentionne, le cocktail Molotov et les captations vid\u00e9o d\u2019\u00e9meutes ne sont pas des moyens de pression, il faut plut\u00f4t les voir comme une fen\u00eatre qui s\u2019ouvre sur un autre monde, un espace hors du champ de l\u2019\u00c9tat (2016). Cette production picturale n\u2019est peut-\u00eatre pas discursive, mais elle laisse tout de m\u00eame les traces visibles d\u2019un autre r\u00e9cit possible. Cette production audiovisuelle cosmopolite nous livre les bribes d\u2019un propos commun sur la disjonction subjective dans l\u2019espace public, sur la d\u00e9sincarnation contemporaine de la politique et de son discours, sur la pluralit\u00e9 des mondes v\u00e9cus et sur le continuum de r\u00e9sistance (2014). Il est int\u00e9ressant d\u2019observer que c\u2019est le multiple d\u2019une production locale d\u2019images qui nous donne \u00e0 voir du commun. Ce sont les effets de r\u00e9sonance qui nous frappent, pas l\u2019unit\u00e9 d\u2019un r\u00e9cit. Ces images, dont la captation et la mise en ligne sur les r\u00e9seaux sociaux rel\u00e8vent de l\u2019initiative individuelle, produisent un discours pictural qui fait collectivement sens par sa diffusion et son partage. L\u2019image devient une nouvelle \u00e9criture individuelle au sein d\u2019un collectif ind\u00e9fini. C\u2019est une forme d\u2019autoportrait du \u00ab\u00a0peuple\u00a0\u00bb mobilis\u00e9 \u00e0 travers les vid\u00e9os en ligne. Ces autoportraits sont souvent plus riches que les discours qui accompagnent ces mobilisations (2016).<\/p>\n\n\n\n

Un appel \u00e0 l\u2019intersubjectivit\u00e9<\/h2>\n\n\n\n

Penser le corps \u00e9meutier c\u2019est aussi le penser dans sa performativit\u00e9 politique et sa r\u00e9sonnance qui le propage dans l\u2019\u00e9cart. Dans l\u2019entre corps de la multitude. Pour Romain Hu\u00ebt qui a r\u00e9cemment publi\u00e9 une analyse ph\u00e9nom\u00e9nologie de la violence \u00e9meuti\u00e8re, l\u2019\u00e9meute exprime un sujet qui se manque, \u00ab\u00a0elle ne c\u00e9l\u00e8bre rien, mais elle confie plut\u00f4t \u00e0 l\u2019oreille les sensations persistantes que suscite un monde o\u00f9 l\u2019on se perd et o\u00f9 la vie est emp\u00each\u00e9e et o\u00f9 aussi, la protestation est toujours reconduite\u00a0\u00bb (Hu\u00ebt, 2018, p.24). Pour les \u00e9meutiers et \u00e9meuti\u00e8res, le fait de produire un petit moment de d\u00e9sordre urbain color\u00e9 et bruyant fait surgir un \u00e9tat d\u2019effervescence comme si, physiquement et dans le champ de la perception, les formes, les r\u00e8gles, les d\u00e9terminations habituelles qui contraignent la vie devenaient momentan\u00e9ment absentes. Dans la rue et par la diffusion de vid\u00e9o sur les r\u00e9seaux sociaux, les corps \u00e9meutiers lancent un appel \u00e0 l\u2019intersubjectivit\u00e9. L\u2019\u00e9meute et sa prolongation par la vid\u00e9o permettent une exp\u00e9rimentation concr\u00e8te de l\u2019intersubjectivit\u00e9. Elle cr\u00e9e des lignes de fuite, des fulgurances, de courtes perc\u00e9es dans les symboles du pouvoir tout en faisant appel \u00e0 l\u2019autre, \u00e0 une solidarit\u00e9 improvis\u00e9e : \u00e0 l\u2019exp\u00e9rience d\u2019une intercorpor\u00e9it\u00e9 momentan\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

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\u00c9cole sup\u00e9rieure de th\u00e9\u00e2tre ; L\u2019\u00e9meute est une f\u00eate (pour corps polymorphes)<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Pour\u00a0Bulter\u00a0la performativit\u00e9 politique du rassemblement se constitue aux contacts des corps avec d\u2019autres corps\u00a0:<\/p>\n\n\n\n

\u00ab Aucun corps n\u2019\u00e9tablit seul l\u2019espace de l\u2019apparaitre; cette action, cet exercice performatif, ne se produit \u00ab qu\u2019entre \u00bb des corps, dans un espace qui constitue l\u2019\u00e9cart entre mon corps et le corps d\u2019autrui. De cette fa\u00e7on, mon corps n\u2019agit pas seul lorsqu\u2019il agit politiquement. En effet, l\u2019action nait de cet \u00ab entre \u00bb, forme spatiale d\u2019une relation qui unit en m\u00eame temps qu\u2019elle diff\u00e9rencie. \u00bb (Butler, 2016, p. 98-99.)<\/p>\n\n\n\n

Les r\u00e9flexions de Butler sur le corps et sur l\u2019entre corps affichent des similitudes avec les concepts de corpor\u00e9it\u00e9 et d\u2019intercorpor\u00e9it\u00e9 de\u00a0Michel Bernard\u00a0qui r\u00e9fl\u00e9chit le corps dans un contexte compl\u00e8tement diff\u00e9rent, mais qui s\u2019inscrit dans la perception des sens. La corpor\u00e9it\u00e9 s\u2019incarne par un syst\u00e8me de liens, de forces, d\u2019\u00e9nergie et d\u2019intensit\u00e9 projetable. C\u2019est l\u2019id\u00e9e d\u2019un corps large qui projette au-del\u00e0 du corps physique et donc l\u2019espace entre nos corps est un espace plein des multiples corpor\u00e9it\u00e9s assembl\u00e9es dans la rue. La notion d\u2019intercorpor\u00e9it\u00e9 permet quant \u00e0 elle, d\u2019explorer et de r\u00e9fl\u00e9chir l\u2019exp\u00e9rience sensible de la \u00ab\u00a0connexion\u00a0\u00bb entre les corps \u00e9meutiers. Pour Bernard, la force du r\u00e9seau ou du syst\u00e8me, dont est issue l\u2019intercorpor\u00e9it\u00e9 s\u2019accro\u00eet lorsqu\u2019elle entre en interaction avec d\u2019autres corpor\u00e9it\u00e9s. Pareillement un corps seul dans la rue qui r\u00e9siste n\u2019aura pas la m\u00eame force ni la m\u00eame port\u00e9e que s\u2019il est accompagn\u00e9 de 100 000 autres corpor\u00e9it\u00e9s.\u00a0 L\u2019intercorpor\u00e9it\u00e9 d\u00e9signe \u00ab\u00a0le croisement illimit\u00e9 des virtualit\u00e9s projet\u00e9s par la diversit\u00e9 des corpor\u00e9it\u00e9s, autrement dit la trame fictive, mouvante et singuli\u00e8re de l\u2019imaginaire immanent \u00e0 nos sensorialit\u00e9s \u00bb c\u2019est ainsi que l\u2019intercorpor\u00e9it\u00e9 produite dans l\u2019\u00e9meute exacerbe la puissance des corps.\u00a0 (Bernard, 2002, p.533). Tout au long du processus de cr\u00e9ation pour\u00a0L\u2019\u00e9meute est une f\u00eate (pour corps polymorphes)<\/em>, j\u2019ai cherch\u00e9 \u00e0 travailler avec l\u2019aide de mes interpr\u00e8tes, les notions de corpor\u00e9it\u00e9 et d\u2019intercorpor\u00e9it\u00e9 de Bernard, car elles m\u2019apparaissaient porteuses d\u2019une \u00e9nergie et d\u2019une exp\u00e9rience similaires v\u00e9cues par les corps et entre les corps \u00e9meutiers. Les \u00e9meutiers et \u00e9meuti\u00e8res sont des \u00eatres de chairs affectivement au monde. Leur proximit\u00e9 fait jaillir une intercorpor\u00e9it\u00e9 de corps co-affect\u00e9s. L\u2019\u00e9meute s\u2019\u00e9prouve comme une constellation de sensations, de passions et d\u2019\u00e9motions communes. C\u2019est ainsi que les corps sont affectivement au monde et que cette affectivit\u00e9 du monde se poursuit dans le partage et le visionnement massif de captations en ligne. Les performeurs avec qui je travaille se retrouvent eux et elles aussi contamin\u00e9s par cette communaut\u00e9 qui s\u2019inter-affecte gr\u00e2ce au visionnement r\u00e9p\u00e9t\u00e9 de vid\u00e9o pendant les r\u00e9p\u00e9titions ; \u00e9tonnamment, visionner des vid\u00e9os d\u2019\u00e9meutes cr\u00e9ait un impact beaucoup plus important chez les interpr\u00e8tes que l\u2019action de se souvenir et se partager des moments similaires v\u00e9cus dans la rue.<\/s>Les vid\u00e9os dans lesquels nous pouvions voir le corps des \u00e9meutiers et \u00e9meuti\u00e8res r\u00e9ussissaient \u00e0 activer une empathie kinesth\u00e9sique directement li\u00e9e \u00e0 une m\u00e9moire sensorielle personnelle. Au cours du processus de cr\u00e9ation, j\u2019ai r\u00e9alis\u00e9 que ce chemin \u00e9tait le plus op\u00e9rant pour activer des \u00e9tats de corps sp\u00e9cifiques aux corps \u00e9meutiers. L\u2019\u00e9meute est une machine d\u00e9sirante que la vid\u00e9o r\u00e9ussit \u00e0 transmettre gr\u00e2ce au partage des affects. Elle est un ph\u00e9nom\u00e8ne de propulsion affective, l\u2019expression d\u2019une \u00e9nergie exc\u00e9dentaire qui se transmet d\u2019un corps \u00e0 l\u2019autre qui soit physique ou num\u00e9rique.<\/p>\n\n\n\n

La danse et le corps \u00e9meutier<\/h2>\n\n\n\n

La danse participe \u00e0 r\u00e9v\u00e9ler la complexit\u00e9 du corps \u00e9meutier notamment par sa capacit\u00e9 \u00e0 mettre en exergue des \u00e9tats de corps. Selon\u00a0Philipe Guisgand\u00a0les \u00e9tats de corps\u00a0: sont \u00ab\u00a0l\u2019ensemble des tensions et des intentions qui s\u2019accumulent int\u00e9rieurement et vibrent ext\u00e9rieurement, et \u00e0 partir duquel le spectateur peut reconstituer une g\u00e9n\u00e9alogie des intensit\u00e9s pr\u00e9sidant \u00e0 l\u2019\u00e9laboration, volontaire ou non, d\u2019une forme corporelle ou d\u2019un mouvement\u00a0\u00bb (Guisgand, 2012, p.33). C\u2019est \u00e0 partir cette notion d\u2019\u00e9tat de corps que j\u2019ai explor\u00e9 ce qui s\u2019accule \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur \u2013 \u00e9tats, sensations, perceptions \u2013 et ce qui vibre ext\u00e9rieurement dans l\u2019\u00e9meute. La danse parle fondamentalement le m\u00eame langage que celui de l\u2019\u00e9meute, c\u2019est-\u00e0-dire celui des sens. Ils s\u2019exercent tous deux sur un terrain non rationnel et discursif.<\/p>\n\n\n\n

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\u00c9cole sup\u00e9rieure de th\u00e9\u00e2tre ; L\u2019\u00e9meute est une f\u00eate (pour corps polymorphes)<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

En ce sens, l\u2019\u00e9meute engendre litt\u00e9ralement des \u00ab \u00eatres de sensation \u00bb qui exercent des formes de libert\u00e9 (Hu\u00ebt, 2018). Elle est d\u00e9finie par des diff\u00e9rentiels d\u2019intensit\u00e9 exerc\u00e9s par la pr\u00e9sence \u2013 physique et virtuelle \u2013 de corps co-affect\u00e9s dans leurs perceptions, leurs rythmes, et leurs d\u00e9terminations. Il y a une unit\u00e9 ph\u00e9nom\u00e9nologique dans l\u2019acte \u00e9meutier : cet acte se donne simultan\u00e9ment comme action et affection.<\/p>\n\n\n\n

La vibration est au c\u0153ur de l\u2019\u00e9meute. Qu\u2019elle soit tension, f\u00e9brilit\u00e9, empathie kinesth\u00e9sique ou intercorpor\u00e9it\u00e9, la vibration est omnipr\u00e9sente dans l\u2019exp\u00e9rience du corps \u00e9meutier. Pour Romain Hu\u00ebt, l\u2019\u00e9meute n\u2019est que vibrations partag\u00e9es, dedans frisonne des corps qui tremblent et qui sont gagn\u00e9s par une m\u00eame excitation (2018). Ainsi le frisson et la vibration corporelle se sont av\u00e9r\u00e9s \u00eatre des \u00e9l\u00e9ments centraux de cette recherche-cr\u00e9ation. J\u2019ai entre autres travaill\u00e9 la vibration par l\u2019exposition du corps des performeurs \u00e0 de fortes ondes sonores de basses fr\u00e9quences et la r\u00e9miniscence de ces sensations par un travail de tension intracorporelle support\u00e9 par l\u2019imaginaire (imagerie mentale de l\u2019\u00e9meute gr\u00e2ce au vid\u00e9o et photos) et le partage de cette m\u00eame sensation avec le public par l\u2019application de principes empathique tels que le concept de pr\u00e9-mouvement et la m\u00e9canique des neurones-miroirs. Il \u00e9tait \u00e9galement donn\u00e9 \u00e0 voir, tout au long de la travers\u00e9e des tableaux, les diff\u00e9rents types de corps observ\u00e9s dans la rue. Le corps concret incarne l\u2019individualit\u00e9 de l\u2019\u00e9meutier, les actions concr\u00e8tes qu\u2019il pose, sa d\u00e9marche, son habillement, les objets qu\u2019il utilise, etc. Sur sc\u00e8ne, il est quotidien, ex\u00e9cute des actions simples et tangibles : il s\u2019habille en black bloc, pr\u00e9pare des m\u00e9langes de\u00a0Maalox<\/em>\u00a0dans des bouteilles en vue de calmer la douleur des gaz irritant dans les yeux, il lance des objets (roches, pav\u00e9s, bouteilles, etc.) sur diverses cibles symboliques, etc. Le corps signifiant de son c\u00f4t\u00e9 est un corps plus abstrait qui s\u2019incarne dans la performativit\u00e9 politique et le partage d\u2019affects politiques. C\u2019est un corps-image qui construit des signifiants par diverses postures et ensembles visuels jouant sur les embl\u00e8mes, les codes et les ic\u00f4nes de l\u2019\u00e9meute tandis que le corps commun repr\u00e9sente l\u2019intercorpor\u00e9it\u00e9, la sensation de ne faire qu\u2019un seul et m\u00eame corps. C\u2019est le mouvement de groupe dans lequel on ne sait plus qui commence et qui termine le mouvement. Et puis, le corps polymorphe se pr\u00e9sente comme corps multiple et complexe. C\u2019est le corps \u00e0 la fois individuel et commun. C\u2019est le corps physique et virtuel en m\u00eame temps. Il incarne aussi le nihilisme et l\u2019espoir, le paradoxe entre l\u2019acte de destruction (propri\u00e9t\u00e9 priv\u00e9e, symbole du capitalisme, de l\u2019\u00c9tat et des appareils de r\u00e9pression) et celui de construction (de liens, de pratiques horizontales). Ces diff\u00e9rents corps permettent une exploration h\u00e9t\u00e9rog\u00e8ne des \u00e9tats explor\u00e9s sur sc\u00e8ne, c\u2019est-\u00e0-dire : rage, peur, douleur, impuissance, joie, jouissance, arrogance et libert\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

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\u00c9cole sup\u00e9rieure de th\u00e9\u00e2tre ; L\u2019\u00e9meute est une f\u00eate (pour corps polymorphes)<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Ainsi, la constitution de communaut\u00e9s subjectives par les r\u00e9seaux sociaux a permis de mener un travail corporel sensible sur les \u00e9tats de corps \u00e9meutiers dans l\u2019optique de les donner \u00e0 voir et \u00e0 sentir au public. Le processus de cr\u00e9ation de l\u2019essai sc\u00e9nique\u00a0L\u2019\u00e9meute est une f\u00eate (pour corps polymorphes)\u00a0<\/em>\u00e9tait focalis\u00e9 sur la cr\u00e9ation d\u2019un nouvel espace de r\u00e9flexions sensibles autour des \u00e9meutiers et \u00e9meuti\u00e8re. Comme mentionn\u00e9 pr\u00e9c\u00e9demment, les vid\u00e9os d\u2019\u00e9meutes permettent de faire voir et de faire sentir une br\u00e8che sur un autre monde possible par leur partage massif sur les r\u00e9seaux sociaux. De son c\u00f4t\u00e9, le spectacle vivant fait de m\u00eame, c\u2019est-\u00e0-dire faire voir et sentir la br\u00e8che par une approche esth\u00e9tique hors du mim\u00e9tisme de la vid\u00e9o documentaire. Toutefois le spectacle vivant touche un public compl\u00e8tement diff\u00e9rent de celui touch\u00e9 par captation en ligne sur les r\u00e9seaux sociaux. Cependant, pour que s\u2019op\u00e8re le partage d\u2019affects par les \u00e9tats de corps transmis dans les vid\u00e9os et par les interpr\u00e8tes, il faut avoir une pr\u00e9disposition minimalement favorable \u00e0 ces corps, sans quoi la contamination des \u00e9tats ne peut que difficilement se faire.<\/p>\n\n\n\n

Bibliographie<\/h2>\n\n\n\n

\u2013 Bernard, Michel, \u00abDe la corpor\u00e9it\u00e9 fictionnaire\u00bb,\u00a0Revue internationale de philosophie,\u00a0<\/em>n\u00b0 222, 2002, p.\u00a0523-534.<\/p>\n\n\n\n

\u2013 Bertho, Alain, \u00ab\u00c9nonc\u00e9s visuels des mobilisations\u00a0: autoportraits des peuples\u00bb,\u00a0Anthropologie et soci\u00e9t\u00e9s, <\/em>vol. 40,\u00a0<\/em>no<\/sup>1, 2016, p. 31-50.<\/p>\n\n\n\n

\u2013 Bertho, Alain, \u00abDe l\u2019\u00e9meute au soul\u00e8vement, la r\u00e9volution n\u2019est plus ce qu\u2019elle \u00e9tait\u00bb,\u00a0Revue internationale et strat\u00e9gique<\/em>, <\/em>vol. 93, 2014, p. 73-80.<\/p>\n\n\n\n

\u2013 Bertho, Alain,\u00a0Le temps des \u00e9meutes,\u00a0<\/em>Paris, Bayard, 2009, 271 p.<\/p>\n\n\n\n

\u2013 Butler, Judith,\u00a0Rassemblement, pluralit\u00e9, performativit\u00e9 et politiquement<\/em>, Paris, Fayard, 2016, 288 p. <\/p>\n\n\n\n

\u2013 D\u2019Arcy, Stephen,\u00a0Le langage des voix-voix. Les bienfaits du militantisme pour la d\u00e9mocratie<\/em>, Montr\u00e9al, \u00c9cosoci\u00e9t\u00e9, 2016, 248 p. <\/p>\n\n\n\n

\u2013 Dupuis-D\u00e9ri, Francis,Les black Blocs. La libert\u00e9 et l\u2019\u00e9galit\u00e9 se manifestent<\/em>, Montr\u00e9al, Lux, 2016, 344 p. <\/p>\n\n\n\n

\u2013 Hu\u00ebt, Romain, \u00abPh\u00e9nom\u00e9nologie de la violence politique : formes, sens et exp\u00e9riences sensibles de l\u2019\u00e9meute\u00bb,\u00a0Lundimatin<\/em>, n\u00b0 145, 2018, p. 1-51<\/p>\n\n\n\n

\u2013 Febvre, Mich\u00e8le Massoutre, Guylaine, \u00ab\u00c9tats de corps\u00bb,\u00a0Spiral, \u00a0<\/em>n\u00b0 242, 2012, p. 31-32<\/p>\n\n\n\n

\u2013 Guisgand, Philippe, \u00ab\u00c0 propos de la notion d\u2019\u00e9tat de corps\u00bb, dans Josette F\u00e9ral (dir.),\u00a0Pratiques performatives<\/em>.\u00a0Body Remix<\/em>, Montr\u00e9al\/Rennes, Presses de l\u2019Universit\u00e9 du Qu\u00e9bec\/Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 223-239.<\/p>\n\n\n\n

\u2013 Guisgand, Philippe, \u00ab\u00c9tudier les \u00e9tats de corps\u00bb,\u00a0Spiral<\/em>, vol. 242, 2012, p. 33-34.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Cet article se propose de questionner dans un premier temps le corps par le prisme de la pens\u00e9e politique, du spectacle vivant et des r\u00e9seaux sociaux. Il y sera principalement question de la corpor\u00e9it\u00e9 et des \u00e9tats de corps (Guisgand, 2012) des \u00e9meutiers et \u00e9meuti\u00e8res. Ces corps r\u00e9volt\u00e9s exp\u00e9rimentent l\u2019\u00e9meute par la constitution de r\u00e9seaux … Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[5],"tags":[34],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/494"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=494"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/494\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":501,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/494\/revisions\/501"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=494"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=494"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=494"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}