{"id":685,"date":"2018-03-01T16:03:36","date_gmt":"2018-03-01T16:03:36","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=685"},"modified":"2022-10-28T16:03:59","modified_gmt":"2022-10-28T16:03:59","slug":"mars-2018-quand-lecran-et-lacteur-font-corps","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/mars-2018-quand-lecran-et-lacteur-font-corps\/","title":{"rendered":"Mars 2018 – Quand l’\u00e9cran et l’acteur font corps"},"content":{"rendered":"\n

Face aux nouveaux dispositifs sc\u00e9niques, l’acteur se voit contraint de d\u00e9velopper des strat\u00e9gies de travail in\u00e9dites, lesquelles doivent mener \u00e0 un jeu sp\u00e9cifique naviguant entre pr\u00e9sence r\u00e9elle et pr\u00e9sence m\u00e9diatis\u00e9e. Le metteur en sc\u00e8ne, toujours au c\u0153ur de ce travail de cr\u00e9ation, y d\u00e9veloppe parfois de v\u00e9ritables talents de vid\u00e9astes, voire de cin\u00e9astes. Nombreux sont les metteurs en sc\u00e8ne et les compagnies dans cette mouvance : <\/p>\n\n\n\n

Bud Berlin, le\u00a0\u00a0Big Art Group\u00a0,\u00a0\u00a0Blast Theory\u00a0,\u00a0Guy Cassiers\u00a0,\u00a0Romeo Castellucci\u00a0, \u00a0Frank Castorf\u00a0, \u00a0CREW, \u00a0Dumb Type\u00a0, \u00a0Pippo Delbon\u00a0, \u00a0la Fura dels Baus\u00a0,\u00a0Rodrigo Garc, \u00a0Heiner Goebbels\u00a0,\u00a0\u00a0Station House Opera\u00a0,\u00a0Ivo van Hove\u00a0, \u00a0Christiane Jatahy\u00a0,\u00a0John Jesurun\u00a0,\u00a0William Kentridge\u00a0,\u00a0Marc Lain\u00e9\u00a0,\u00a0Elizabeth Lecompte\u00a0, \u00a0Michel Lemieux et Victor Pilon (4D-Art),\u00a0Robert Lepage\u00a0,\u00a0Krystian Lupa\u00a0, \u00a0Simon McBurney\u00a0,\u00a0Denis Marleau\u00a0,\u00a0\u00a0Katie Mitchelll\u00a0,\u00a0 \u00a0Fabrice Murgia\u00a0, \u00a0Motus\u00a0, \u00a0Carole Nadeau\u00a0, \u00a0Ontroerend Goed\u00a0, \u00a0Thomas Ostermeier\u00a0,\u00a0\u00a0Jean-Fran\u00e7ois Peyret\u00a0,\u00a0\u00a0Ren\u00e9 Pollesch,\u00a0\u00a0Jay Scheib\u00a0, \u00a0Studio Azzurro\u00a0,\u00a0Temporary Distortion,\u00a0\u00a0Cyril Teste, \u00a0Kris Verdonck\u00a0,\u00a0Marianne Weems\u00a0et beaucoup d\u2019autres… Cette liste, sp\u00e9cifiquement centr\u00e9e sur des pratiques europ\u00e9ennes et nord-am\u00e9ricaines, pourrait \u00eatre prolong\u00e9e bien davantage si l\u2019on devait y ajouter d\u2019autres continents comptant eux aussi de tr\u00e8s nombreuses formes de th\u00e9\u00e2tre faisant appel aux \u00e9crans.<\/p>\n\n\n\n

Aid\u00e9 de tous ses collaborateurs et du travail du com\u00e9dien qui demeure au centre de la sc\u00e8ne, le metteur en sc\u00e8ne s\u2019entoure donc de concepteurs de l\u2019image qui peuvent prendre parfois une place pr\u00e9pond\u00e9rante, jusqu\u2019\u00e0 devenir cocr\u00e9ateur du spectacle (comme\u00a0Leo Warner avec Katie Mitchell). Son travail n\u2019en consiste pas moins \u00e0 traduire le dialogue des corps (charnels et virtuels) dans l\u2019espace, corps dont les formes s\u2019expriment en pr\u00e9sences sc\u00e9niques de densit\u00e9s diverses sur le plateau.<\/p>\n\n\n\n

Ce sont ces questions qu\u2019abordent les textes pr\u00e9sent\u00e9s dans ce dossier1<\/sup>, il a rassembl\u00e9 des participants de pr\u00e8s de vingt pays (Allemagne, Autriche, Belgique, Br\u00e9sil, Canada, Chypre, Danemark, \u00c9gypte,\u00a0\u00c9tats-Unis,\u00a0France, Gr\u00e8ce, Inde, Italie, Liban, Lituanie, Malte, Nouvelle-Z\u00e9lande, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, Singapour, Suisse). Les textes s\u00e9lectionn\u00e9s ici ouvrent donc sur de multiples horizons, se compl\u00e8tent et dialoguent entre eux. Centr\u00e9s sur la pratique th\u00e9\u00e2trale, ils restent ouverts \u00e0 diff\u00e9rentes formes artistiques, tant les arts vivants que les arts de l\u2019image (performance, vid\u00e9o ou arts m\u00e9diatiques bien s\u00fbr, mais aussi cin\u00e9ma, peinture et dessin), ce que montrent notamment les textes de Cl\u00e1udia Marisa Oliveira, Philip Auslander, Fabio Raffo, Bonnie Marranca et C\u00e9line Paringaux. Notre souci principal au cours de ce questionnement a toujours \u00e9t\u00e9 non seulement d\u2019analyser, mais aussi de souligner le dialogue entre les arts et entre les formes. Les artistes n\u2019ignorent pas ces croisements, qu\u2019ils sont les premiers \u00e0 mettre en \u0153uvre, eux qui ne s\u2019enferrent ni dans les cat\u00e9gories ni dans les champs de recherche, et qui convoquent, selon leurs besoins, th\u00e9\u00e2tre et installation, performance et arts m\u00e9diatiques. Les textes de Kris Verdonck, Andy Lavender, Thomas Morisset, Juliette M\u00e9zergues et Christiane Jatahy t\u00e9moignent justement de cette ouverture par rapport aux cat\u00e9gories, et des cons\u00e9quences li\u00e9es \u00e0 l\u2019int\u00e9gration des nouvelles technologies dans la pratique artistique.<\/p>\n\n\n\n

Bien s\u00fbr, la question des technologies n\u2019est pas neuve, pas plus que celle des \u00e9crans sur la sc\u00e8ne, et d\u2019importants ouvrages ont \u00e9t\u00e9 publi\u00e9s \u00e0 cet effet depuis plus de trente ans. Les chercheurs, tant fran\u00e7ais qu\u2019anglo-saxons, se sont pench\u00e9s sur la multiplication des dispositifs visuels et sonores sur la sc\u00e8ne (Steve Dixon, Greg Giesekam, Chris Salter, Jean-Marc Lachaud et Olivier Lussac\u2026), en ont d\u00e9crit la multiplication sur le plateau (Clarisse Bardiot, Steve Dixon, Gabriella Giannacchi, B\u00e9atrice Picon-Vallin, Izabella Pluta\u2026) et rep\u00e9r\u00e9 les effets sur les modalit\u00e9s du r\u00e9cit (Chantal H\u00e9bert, Ir\u00e8ne Perelli-Contos, Jean-Pierre Ryngaert  et Julie Sermon ou encore Arielle Meyer Macleod et Dina Noaman dans le pr\u00e9sent dossier), sur le rapport \u00e0 l\u2019espace soudain explos\u00e9 (amplifi\u00e9, augment\u00e9 ou contract\u00e9). Ils se sont pench\u00e9s sur les r\u00e9percussions de ces installations sur la temporalit\u00e9 sc\u00e9nique, \u00e0 la fois r\u00e9elle et modifi\u00e9e (ralentie ou ind\u00fbment augment\u00e9e), sur la sc\u00e9nographie dont la nature a chang\u00e9 profond\u00e9ment dans ces environnements num\u00e9riques ; ils ont enfin \u00e9tudi\u00e9 le rapport au r\u00e9el soudain convoqu\u00e9 (et ni\u00e9 tout \u00e0 la fois) par les images, d\u00e9construit et reconstruit, soulignant la remise en question de la repr\u00e9sentation qu\u2019op\u00e8rent ces dispositifs sc\u00e9niques. <\/p>\n\n\n\n

Nous en sommes d\u00e9sormais \u00e0 la seconde vague de ces recherches qui ne s\u2019emploient plus \u00e0 souligner la nouveaut\u00e9 de ces processus, mais leur incrustation dans le paysage th\u00e9\u00e2tral, leur r\u00e9currence, leur permanence m\u00eame, cr\u00e9ant de nouvelles esth\u00e9tiques et ouvrant le champ des possibles sc\u00e9niques. Si les probl\u00e9matiques pass\u00e9es demeurent pr\u00e9gnantes (rapport au temps, \u00e0 l\u2019espace, \u00e0 la narration), celles d\u2019aujourd\u2019hui (cam\u00e9ras multiples, fixes et mobiles, syst\u00e8me d\u2019amplification de la voix, des sons, des bruits, \u00e9crans de toutes natures et de toutes sortes, dispositifs de captures du mouvement) s\u2019int\u00e9ressent plus largement \u00e0 la mani\u00e8re dont ces sc\u00e8nes technologiques interpellent de fa\u00e7on atypique la subjectivit\u00e9 de l\u2019acteur. Celui-ci c\u00f4toie les images, dialogue avec elles, s\u2019y fond parfois, comme l\u2019expliquent par exemple les textes de Xavier Lemoine, Sunga Kim, Julia Gros de Gasquet, Margot Dacheux et Menez Chapleau, quand il n\u2019a pas la charge de les activer comme le font les membres de compagnies aussi diverses que Motus, le Big Art Group, Temporary Distortion, Blast Theory, le Wooster Group ou, plus pr\u00e8s de nous, des metteurs en sc\u00e8ne comme Guy Cassiers, Jacques Delcuvellerie, Kris Verdonck, Christiane Jatahy, Joris Mathieu, Jean-Fran\u00e7ois Peyret (tous pr\u00e9sents au colloque), ou Frank Castorf, Heiner Goebbels, Robert Lepage, Wajdi Mouawad, Ren\u00e9 Pollesch, Marianne Weems et beaucoup d\u2019autres. Il faut \u00e9galement, pour \u00eatre exhaustif, \u00e9largir le questionnement au spectateur, lui aussi sollicit\u00e9, appel\u00e9 souvent \u00e0 passer images et dispositifs au crible de sa perception, quand il n\u2019a pas lui aussi \u00e0 suivre les contraintes du dispositif, comme chez Blast Theory ou CREW. La question est ici \u00e9tudi\u00e9e de plus pr\u00e8s par Andrea Caruso Saturnino et Julio Provencio, qui abordent l\u2019\u0153uvre de Roger Bernat, et par Emilie Chehilita, qui analyse les spectacles de Gob Squad dans la section \u00ab Le spectateur en question \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Au c\u0153ur de ces axes multiples d\u2019exploration, toutefois, une certitude : l\u2019importance du corps de l\u2019acteur, tout comme celui du spectateur, machines \u00e0 sensations mais aussi machines d\u00e9sirantes dans ces environnements technologiques. Que devient le corps de l\u2019acteur, du performeur dans ce contexte technologique ? C\u2019est l\u2019interrogation de d\u00e9part des textes de Gilles Jacinto et Izabella Pluta dans ce dossier. Comment le performeur r\u00e9agit-il \u00e0 cet environnement ? Comment l\u2019 \u00ab habite \u00bb-t-il ? Questions qu\u2019\u00e9nonce Clarisse Bardiot, et qu\u2019illustre, pour sa part, Ang\u00e9lique Derambure. Quelles mutations subit ce corps ? Ce sont ces interrogations fondamentales que nous avons plac\u00e9es au c\u0153ur de ce livre, d\u2019o\u00f9 l\u2019accent mis dans le titre sur le Corps en sc\u00e8ne. <\/em>Que devient le corps, et \u00e0 travers lui l\u2019acteur, face aux \u00e9crans,<\/em> en interaction avec eux, en fusion ou en rupture avec l\u2019image ? Que fait l\u2019image au corps du performeur (et \u00e0 celui du spectateur) ? Le transforme-t-elle ? L\u2019absorbe-t-elle ? En modifie-t-elle la structure ? Certains des textes de ce dossier abordent de front la question, ainsi en est-il des contributions d\u2019Edmond Couchot ou de Philip Auslander qui nous paraissent ouvrir des perspectives surprenantes \u00e0 ce propos.<\/p>\n\n\n\n

Les textes rassembl\u00e9s ici mettent pr\u00e9cis\u00e9ment en lumi\u00e8re, non seulement la nature de cette mutation de la conception du jeu<\/em> sc\u00e9nique qui affecte la sc\u00e8ne depuis une trentaine d\u2019ann\u00e9es, mais aussi, plus concr\u00e8tement, la fa\u00e7on dont les corps, nos corps, faits de chair et de sang, sont affect\u00e9s par les images dont ils s\u2019entourent et dans lesquelles ils plongent totalement parfois, m\u00eame jusqu\u2019\u00e0 en oublier leurs origines, comme l\u2019analyse Johan Callens. Les r\u00e9sultats seront \u00e0 mesurer, peut-\u00eatre, en ali\u00e9nation de l\u2019art de dire ou de faire dans ces contextes, ou tout du moins en conceptions diff\u00e9rentes du jeu sc\u00e9nique par rapport aux grandes traditions existantes. Les grandes r\u00e9f\u00e9rences du th\u00e9\u00e2tre qu\u2019\u00e9taient, il y a encore quelques ann\u00e9es \u00e0 peine, Anatoli Vassiliev, Jerzy Grotowski, Eugenio Barba, Peter Brook, Tadashi Suzuki – tout comme ces ma\u00eetres plus \u00e9loign\u00e9s dans le temps que furent Antoine Vitez, Constantin Stanislavski, Michael Tchekhov,-, ne semblent plus trouver leur place sur ces  nouvelles sc\u00e8nes m\u00e9diatis\u00e9es \u00e0 mesure qu\u2019un jeu plus performatif semble l\u2019emporter, comme l\u2019illustrent admirablement Andr\u00e9 Wilms dans Eraritjaritjaka<\/em> ou les acteurs d\u2019Ivo van Hove dans Kings of War<\/em>, ou encore ceux de Marianne Weems, Katie Mitchell  ou John Jesurun (voir l\u2019article de Christophe Collard \u00e0 cet effet).  L\u2019\u00e9v\u00e9nement sc\u00e9nique y devient d\u2019une autre nature, il repr\u00e9sente<\/em> moins qu\u2019il ne fait<\/em>, un propos illustr\u00e9 par l\u2019analyse de Catherine Cyr commentant R\u00e9sonances<\/em>, l\u2019\u0153uvre saisissante de Carole Nadeau. <\/p>\n\n\n\n

Quand dire, c\u2019est faire<\/em>\u00a0(How to Do Things with Words<\/em>) titrait le livre de John Austin, paru en 1962 (traduit en fran\u00e7ais en 1972), qui est \u00e0 l\u2019origine de toute la r\u00e9flexion sur le performatif aujourd\u2019hui. Nous pourrions inverser la formule et dire que sur la sc\u00e8ne, aujourd\u2019hui,\u00a0faire c\u2019est dire<\/em>. Mais qu\u2019y fait-on\u00a0? Qu\u2019y dit-on par le biais des dispositifs technologiques\u00a0? Ou encore, quels discours tiennent les corps d\u2019acteurs face aux \u00e9crans chez\u00a0Guy Cassiers, Rodrigo Garc\u00eda ou Heiner Goebbels\u00a0par exemple\u00a0? Il nous semble que le rapport au jeu, sinon la vision m\u00eame de ce que ce dernier implique, a chang\u00e9, et que le personnage, le r\u00e9cit, en \u00e9mergent transform\u00e9s. C\u2019est ce que les spectacles de\u00a0Robert Lepage, Katie Mitchell, Elizabeth Lecompte, Cyril Teste, Jean-Fran\u00e7ois Peyret ou Marianne Weems\u00a0r\u00e9v\u00e8lent ais\u00e9ment.<\/p>\n\n\n\n

Les \u00e9coles de th\u00e9\u00e2tre prennent-elles acte de ces changements qui touchent la sc\u00e8ne dans les formations qu\u2019elles dispensent\u00a0? Modifient-elles leurs programmes en cons\u00e9quence\u00a0? Les r\u00e9ponses de Stanislas Nordey, du TNS (Th\u00e9\u00e2tre National de Strasbourg)\u00a0; de Claire Lasne-Darcueil, du Conservatoire national sup\u00e9rieur d\u2019art dramatique\u00a0; de Fr\u00e9d\u00e9ric Plazy, de la Haute \u00c9cole de th\u00e9\u00e2tre de Suisse romande, et de Didier Abadie, de l\u2019\u00c9RAC (\u00c9cole r\u00e9gionale d\u2019acteurs de Cannes) donnent un panorama tr\u00e8s contrast\u00e9 des postures et des convictions autour de la table ronde consacr\u00e9e \u00e0 la formation, qui se trouve \u00e0 la fin du volume. Si, pour les formateurs, il est \u00e9vident que les m\u00e9dia font d\u00e9sormais partie de la vie des jeunes bien plus que de celle des a\u00een\u00e9s qui les encadrent, ils sont convaincus \u00e9galement, du moins pour certains d\u2019entre eux, que la technologie ne serait pr\u00e9cis\u00e9ment pas une n\u00e9cessit\u00e9 esth\u00e9tique sur sc\u00e8ne puisqu\u2019elle appartiendrait d\u00e9j\u00e0 au quotidien de chacun. D\u2019o\u00f9 les positions de\u00a0Stanislas Nordey\u00a0ou de\u00a0Jacques Delcuvellerie, pour lesquels la question cruciale aujourd\u2019hui ne serait pas celle des changements qu\u2019apportent les technologies sur sc\u00e8ne, \u2013 et notamment la pr\u00e9sence multiple des \u00e9crans\u00a0\u2013, mais celles de l\u2019\u00eatre sc\u00e9nique de l\u2019acteur, l\u2019expression de sa fragilit\u00e9 sur sc\u00e8ne, de son \u00eatre l\u00e0 au pr\u00e9sent. Stanislas Nordey redit ainsi sa conviction profonde\u00a0que l\u2019acte th\u00e9\u00e2tral est un acte de r\u00e9sistance, et que la fascination pour les images au th\u00e9\u00e2tre est en train de mourir, alors que Jacques Delcuvellerie, dans un texte qui a toute la force d\u2019un manifeste, revendique la n\u00e9cessit\u00e9 de trouver des techniques singuli\u00e8res et surtout l\u2019absolue exigence de lutter contre le \u00ab\u00a0pr\u00e9suppos\u00e9 positif de la pr\u00e9sence\u00a0\u00bb, pr\u00e9sence de l\u2019image ou pr\u00e9sence du com\u00e9dien, une question que traitent Violaine Chavanne et Ester Fuoco. Il pr\u00e9conise en ce sens de ne pas s\u00e9parer r\u00e9el et virtuel et de ne pas qualifier de \u00ab\u00a0pr\u00e9sence\u00a0\u00bb ce que le spectateur a simplement sous les yeux. La pr\u00e9sence est d\u2019une toute autre nature, d\u2019o\u00f9 cette r\u00e9flexion paradoxale que si l\u2019image peut certes augmenter la pr\u00e9sence, elle peut aussi la diminuer. Ce que nous aimons au th\u00e9\u00e2tre, rappelle-t-il, c\u2019est\u00a0la pr\u00e9sence et la fragilit\u00e9 de l\u2019acteur, l\u2019archa\u00efsme de cette rencontre qu\u2019il faut chercher \u00e0 pr\u00e9server. \u00a0<\/p>\n\n\n\n

Derri\u00e8re ces discours, qui sont certes s\u00e9duisants, se pourrait-il que l\u2019on assiste \u00e0 une d\u00e9rive croissante entre les convictions de certains artistes (formateurs peu enclins \u00e0 privil\u00e9gier les technologies) et les pratiques multimedia observ\u00e9es sur nos sc\u00e8nes? Se pourrait-il que les \u00e9coles soient en d\u00e9calage par rapport aux formes esth\u00e9tiques dominantes ? Si la nostalgie peut nous porter encore vers l\u2019acteur seul sur le plateau, et qu\u2019un go\u00fbt pour une puret\u00e9 sc\u00e9nique nous habite encore, il nous semble plus que jamais que les nouvelles technologies sur la sc\u00e8ne, \u2013 notamment la pr\u00e9sence des \u00e9crans \u2013, ont suscit\u00e9 des pratiques qui renouvellent le jeu de l\u2019acteur, d\u00e9veloppant \u00e0 la fois son extr\u00eame ma\u00eetrise des dispositifs et une fragilit\u00e9 de jeu que ne gomment ni l\u2019image ni la technique, bien au contraire. C\u2019est ce que soulignent avec force Guy Cassiers et ses acteurs dans la table ronde qui leur a \u00e9t\u00e9 consacr\u00e9e, tout comme le fait Claire Lasne-Darcueil, voix dissidente et forte, qui affirme dans son intervention, \u00e0 quel point technologie et art permettent une cr\u00e9ativit\u00e9 propre \u00e0 notre temps.<\/p>\n\n\n\n

La question de la pr\u00e9sence du corps et de l\u2019acteur ressurgit donc. Si l\u2019image augmente bien notre sensibilit\u00e9 au corps de l\u2019autre, accro\u00eet-elle pour autant la pr\u00e9sence sc\u00e9nique de ce dernier? Les textes que l\u2019on pourra lire dans les pages qui suivent abordent tous cette question de fa\u00e7on diverse, euphorique ou dysphorique face \u00e0 ces mutations soci\u00e9tales et esth\u00e9tiques. Jacques Delcuvellerie, que nous citions au d\u00e9but de cette pr\u00e9face, r\u00e9sume parfaitement l\u2019ambigu\u00eft\u00e9 de notre rapport \u00e0 ces changements qui affectent le plateau, lorsqu\u2019il rappelle qu\u2019il s\u2019agit bien s\u00fbr d\u2019apprivoiser l\u2019outil, mais que les technologies ne sont pas n\u00e9cessairement le chemin du renouvellement th\u00e9\u00e2tral. <\/p>\n\n\n\n

L\u2019int\u00e9r\u00eat principal de ce livre est donc de reposer les questions fondamentales du rapport du jeu du com\u00e9dien aux \u00e9crans, en interaction avec eux. Il a pour ambition d\u2019ouvrir nos horizons et \u00e9branler nos certitudes. En effet, penser qu\u2019il existe une essence du th\u00e9\u00e2tre, voire une quintessence, \u2013 que Brook aurait d\u00e9finie en termes simples (un espace, un acteur et un spectateur) \u2013, c\u2019est penser que le th\u00e9\u00e2tre est un, qu\u2019il n\u2019est ni multiforme, ni alt\u00e9rable au cours des si\u00e8cles. Or il semble que ces nouveaux dispositifs r\u00e9articulent autrement la notion m\u00eame de th\u00e9\u00e2tre et que, confront\u00e9 \u00e0 certaines cr\u00e9ations, le terme de th\u00e9\u00e2tre devient insuffisant. Les nouvelles formes performatives rel\u00e8vent \u00e0 la fois de l\u2019installation, de la performance, de la danse et du th\u00e9\u00e2tre. C\u2019est donc notre vision qu\u2019il faut \u00e9largir et adapter aux pratiques d\u2019aujourd\u2019hui plut\u00f4t que vouloir continuer \u00e0 user de cat\u00e9gories aux contours \u00e9troits. C\u2019est ce genre de r\u00e9flexion cruciale que permet ce livre.<\/p>\n\n\n\n

Si l\u2019homme n\u2019existe qu\u2019\u00e0 travers les formes corporelles qui le mettent au monde, toute modification de sa forme engage une autre d\u00e9finition de son humanit\u00e9. Si les fronti\u00e8res de l\u2019homme sont trac\u00e9es par la chair qui le compose, retrancher ou ajouter en lui d\u2019autres composantes m\u00e9tamorphose l\u2019identit\u00e9 personnelle qui est la sienne et les rep\u00e8res qui le concernent aux yeux des autres<\/p>\n\n\n\n

\u00e9crivait\u00a0David\u00a0Le Breton, dans son livre\u00a0La Sociologie du corps<\/em>,\u00a0Edmond Couchot, pour sa part,\u00a0loin d\u2019insister sur un corps per\u00e7u comme obstacle dans un affrontement avec la technologie,\u00a0pr\u00e9f\u00e8re mettre en lumi\u00e8re lad\u00e9multiplication des capacit\u00e9s physiques et sensorielles du corps que permet la technologie. Selon lui, les technologies permettraient, au contraire, le d\u00e9veloppement d\u2019un langage plus complexe o\u00f9 \u00ab\u00a0le monde limpide et froid de l\u2019algorithme et le monde organique et psychique du corps, des sensations et des gestes, sont mis en demeure de commuter \u00bb. Ce sera au lecteur de choisir la vision qu\u2019il souhaite privil\u00e9gier2<\/sup>.<\/p>\n\n\n\n

Notes<\/h2>\n\n\n\n

[1] Textes qui ont fait l\u2019objet de communications au colloque\u00a0Corps en sc\u00e8ne\u00a0: L\u2019acteur face aux \u00e9crans<\/em>. Tenu \u00e0 la Sorbonne Nouvelle-Paris 3 en juin 2015, et consacr\u00e9 \u00e0 ces questions \u00e0 l\u2019initiative du groupe de recherche \u00ab\u00a0Performativit\u00e9 et effets de pr\u00e9sence\u00a0\u00bb (Universit\u00e9 du Qu\u00e9bec \u00e0 Montr\u00e9al) et du LIRA (Laboratoire international de recherches en arts, Sorbonne Nouvelle-Paris 3).<\/p>\n\n\n\n

[2] Ce texte paraitra dans un collectif aux \u00c9ditions l\u2019Entretemps (Montpellier, juin 2018).<\/p>\n\n\n\n

Bibliographie<\/h2>\n\n\n\n

\u2013 Couchot, Edmond, \u00ab\u00a0Autre corps, autre image, autre image, autre corps\u00a0\u00bb dans Josette Sultan et Jean-Christophe Vilatte (dir.),\u00a0Ce corps incertain de l’image\u00a0: art\u00a0\/\u00a0technologies<\/em>, L’Harmattan, Paris, 1998, coll: Champs visuels, n\u00b010, pp.\u00a012-16.<\/p>\n\n\n\n

\u2013 Langshaw, John, How to Do Things with Words<\/em>, Paris, Seuil, 1970, 208 p. <\/p>\n\n\n\n

\u2013 Le Breton, David, \u00ab\u00a0Vers la fin du corps\u00a0: cyberculture et identit\u00e9\u00a0\u00bb dans Claude Fintz (dir.),\u00a0Du corps virtuel \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 des corps\u00a0: litt\u00e9rature, arts, sociologie<\/em>, L’Harmattan, Paris, 2002, p.\u00a0173-195.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Face aux nouveaux dispositifs sc\u00e9niques, l’acteur se voit contraint de d\u00e9velopper des strat\u00e9gies de travail in\u00e9dites, lesquelles doivent mener \u00e0 un jeu sp\u00e9cifique naviguant entre pr\u00e9sence r\u00e9elle et pr\u00e9sence m\u00e9diatis\u00e9e. Le metteur en sc\u00e8ne, toujours au c\u0153ur de ce travail de cr\u00e9ation, y d\u00e9veloppe parfois de v\u00e9ritables talents de vid\u00e9astes, voire de cin\u00e9astes. Nombreux sont … Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[1],"tags":[51],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/685"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=685"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/685\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":687,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/685\/revisions\/687"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=685"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=685"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=685"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}