{"id":758,"date":"2017-12-01T21:09:22","date_gmt":"2017-12-01T21:09:22","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=758"},"modified":"2022-11-02T21:28:55","modified_gmt":"2022-11-02T21:28:55","slug":"decembre-2017-les-interfaces-emotives-lumineuses-la-lumiere-de-soi-e","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/decembre-2017-les-interfaces-emotives-lumineuses-la-lumiere-de-soi-e\/","title":{"rendered":"D\u00e9cembre 2017 – Les interfaces \u00e9motives lumineuses: la lumi\u00e8re de soi (e)"},"content":{"rendered":"\n

Lumi\u00e8re\/sentiment\u00a0: les lumi\u00e8res d\u2019un tissu \u00e9clair\u00e9<\/h2>\n\n\n\n

Briller par son intelligence, adopter des v\u00eatements soyeux pour attirer le regard, montrer sa puissance et sa beaut\u00e9, sont des faits coutumiers de l\u2019humanit\u00e9, mais les habits de lumi\u00e8res prospectifs se manifestent avec un \u00e9clat tout particulier.<\/p>\n\n\n\n

Dans les exemples suivants, l\u2019entre-luire est une lumi\u00e8re qui \u00e9mane du corps, produite par lui. Le v\u00eatement devient une lumi\u00e8re de soi, les lumi\u00e8res d\u2019un tissu \u00e9clair\u00e9, qui participe \u00e0 une connaissance de soi.<\/p>\n\n\n\n

Les textiles innovants ne se contentent plus seulement de diffuser, d\u2019absorber ou de r\u00e9fl\u00e9chir la lumi\u00e8re. Reli\u00e9 \u00e0 des capteurs sensoriels qui r\u00e9agissent \u00e0 la chaleur du corps, aux pulsations du c\u0153ur, aux mouvements corporels ou \u00e0 l\u2019environnement proche, le v\u00eatement technologique devient une interface \u00e9motive, r\u00e9active et interactive. Ce n\u2019est plus la lumi\u00e8re solaire ou lunaire qui enveloppe d\u2019aura le v\u00eatement. La lumi\u00e8re est \u00e9mise par le porteur lui-m\u00eame. En inversant cette r\u00e9flexion de la lumi\u00e8re, le porteur se transforme d\u2019une certaine mani\u00e8re en figure christique, son \u00ab aura \u00bb est plus que visible. Mais cette visibilit\u00e9 peut basculer dans une hypervisibilit\u00e9 : le capteur d\u2019\u00e9motion, par le biais de la led et de  la lumi\u00e8re, transformant le v\u00eatement en \u00e9cran. Plus qu\u2019une seconde peau, cette interface \u00e9motive peut \u00eatre d\u00e9fini selon les situations et les envies comme une proth\u00e8se, un r\u00e9v\u00e9lateur d\u2019humeur, un mouchard\u2026<\/p>\n\n\n\n

Bart Hess<\/u>1 <\/sup>et\u00a0Lucy\u00a0McRey<\/u>2<\/sup>\u00a0pour Philips design probes3<\/sup>\u00a0se demandent \u00ab\u00a0comment la technologie coexiste avec l\u2019\u00e9motion humaine brute\u00a0?4<\/sup>\u00a0<\/em>\u00bb.\u00a0 Expos\u00e9s en 2008 \u00e0 la Biennale Internationale de design de\u00a0Saint Etienne, dans la partie du batiment H intitul\u00e9\u00a0: Demain c\u2019est aujourd\u2019hui<\/em>, des bijoux de peau se modifient selon l\u2019humeur de celui qui les porte. Ces\u00a0Skin Tile<\/em>, qui mettent en place une relation interactive entre l\u2019objet et la peau sont en silicone et technologie \u00e9lectro-magn\u00e9tique.<\/p>\n\n\n\n

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Skin Tile, Bart Hess et Lucy McRey, Cr\u00e9dit Photo : Philips Design Probes\/ Bart Hess, Lucy McRey<\/em><\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

\u00c9quip\u00e9 d’une alimentation en \u00e9nergie et de d\u00e9tecteurs sensoriels et physiologiques, le bijou se modifie en fonction du moral. On parle ici de\u00a0 \u00ab\u00a0technologies sensitives appliqu\u00e9es sur le corps humain5<\/sup>\u00a0<\/em>\u00bb.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

Ces prototypes prospectifs montrent que la peau sera de moins en moins nue. Ils \u00ab\u00a0r\u00e9volutionnent\u00a0\u00bb le sens m\u00eame du design qui ne s\u2019int\u00e9resse plus \u00e0 cr\u00e9er des objets ou \u00e0 provoquer des services, mais qui design le corps et les sentiments de l\u2019humain.\u00a0Claire Fayolle, la commissaire d\u2019exposition de demain c\u2019est aujourd\u2019hui pointe ce fait\u00a0: \u00ab\u00a0Comment susciter les \u00e9motions, lier le corps et le mental\u00a0: c\u2019est le probl\u00e8me central du design. Avec ces projets, les designers de\u00a0Philips<\/u>\u00a0ne se contente plus de susciter l\u2019\u00e9motion, il la repr\u00e9sente\u00a0<\/em>\u00bb.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

En designant<\/em> l\u2019humain, le corps affiche des informations, devient  comme un \u00e9cran. (\u2026.) Un livre ouvert  ou le  secret n\u2019est plus possible\u2026<\/p>\n\n\n\n

La robe bubelle6<\/sup>, dont la forme arrondie s\u2019inspire \u00e0 la fois de la carapace d\u2019un scarab\u00e9e ou de l\u2019aile d\u2019un insecte, est constitu\u00e9e d\u2019une trame a\u00e9rienne en tissu blanc et d\u2019un r\u00e9seau de capteur et de leds. Elle pourrait \u00eatre une vision moderne des robes couleurs du jour, de la nuit et du temps de Peau d\u2019Ane.<\/p>\n\n\n\n

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Robe bubelle, Bart Hess et Lucy McRey, Cr\u00e9dit Photo : Philips design Probes\/ Bart Hess, Lucy McRey<\/em><\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Pr\u00e9sent\u00e9e dans une vid\u00e9o futuriste7<\/sup>, la robe blanche et arachn\u00e9enne se d\u00e9tache d\u2019une ambiance bleut\u00e9e. Le choix des couleurs ne peut \u00eatre anodin\u00a0: le bleu froid, immat\u00e9riel, sugg\u00e8re la d\u00e9mat\u00e9rialisation et met en place un univers surr\u00e9aliste, merveilleux. Tandis que le blanc \u00e0 la fois couleur de mort, de deuil et de transfiguration, figure un passage, un devenir, une renaissance d\u2019un humain et d\u2019une mode en devenir. Transformant la peau en r\u00e9seau \u00e9lectronique, qui cr\u00e9e des jeux de lumi\u00e8res sur cette robe\/\u00e9cran, les couleurs varient lorsque la technologie, l’\u00e9motionnel et l’environnement proches sont en interaction. La peau s\u2019absentifie, ne joue plus son r\u00f4le de barri\u00e8re, de protection tandis que le textile devient sensoriel, faisant \u00e9chos aux propos de\u00a0\u00a0Florence Bost<\/u>8<\/sup>\u00a0:\u00a0\u00ab\u00a0Les tissus sont nos compagnons de vie. Ils ont un r\u00f4le social, mais aussi une histoire. Ils transportent nos corps et nos esprits et, bien souvent, ils traduisent notre culture familiale\u2026 Pourquoi ne d\u00e9velopperaient-ils pas eux aussi, l\u2019odorat, le toucher, la vue et l\u2019ou\u00efe\u00a0?\u00a0<\/em>\u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Au-del\u00e0 d\u2019une esth\u00e9tique s\u00e9duisante, d\u2019une prouesse technologique et interactive, l\u2019enjeu de ces textiles innovants est qu\u2019ils questionnent l\u2019identit\u00e9 du corps, ses limites spatiales et son intimit\u00e9. Le tissu lumineux brouille le p\u00e9rim\u00e8tre du corps et \u00e0 l\u2019instar des nanotechnologies, proth\u00e8ses myo\u00e9lectriques (impuls\u00e9es par le cerveau) ou de l\u2019interactivit\u00e9 du net, pose la question des limites : o\u00f9 se termine la peau, le v\u00eatement ? O\u00f9 commence l\u2019environnement ext\u00e9rieur ?<\/p>\n\n\n\n

D\u00e8s lors peut-on concevoir cette ouverture des limites du corps comme une libert\u00e9 du corps et de l\u2019individu ?<\/p>\n\n\n\n

Ces prototypes futuristes font comprendre que les objets d\u2019assistance ext\u00e9rieure tentent de fusionner avec le corps, afin de lui int\u00e9grer des services suppl\u00e9mentaires.\u00a0 \u00ab\u00a0\u00a0N\u2019est-on pas en train de r\u00e9inventer la mati\u00e8re la plus sophistiqu\u00e9e qui soit, la plus intelligente que l\u2019on ait jamais cr\u00e9\u00e9e, la peau\u00a0! Au fond Dieu avait d\u00e9j\u00e0 pens\u00e9 \u00e0 tout\u00a09<\/sup><\/em>\u00bb.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019extime\u00a0: la nouvelle \u00e9toffe<\/h2>\n\n\n\n

De nombreux v\u00eatements et textiles innovants se concentrent sur le cou. \u00c9tymologiquement jusqu\u2019au XVIIe si\u00e8cle, cou et col sont employ\u00e9s simultan\u00e9ment pour d\u00e9signer, cette \u00ab partie du corps qui relie la t\u00eate au tronc \u00bb, qui fait le lien entre la pens\u00e9e, l\u2019esprit, le cerveau, et le reste du corps, son aspect physique. Lieu de circulation de l\u2019air et de la nourriture, il est un centre de vie, mais aussi de vuln\u00e9rabilit\u00e9. \u00catre pris \u00e0 la gorge, avoir la gorge serr\u00e9e, avoir un couteau sous la gorge, le cou du lapin…. Malmen\u00e9, il est \u00e9trangl\u00e9, d\u00e9capit\u00e9, pendu.<\/p>\n\n\n\n

Si historiquement le col bleu ou le col blanc d\u00e9signe des classes sociales, ce n\u2019est plus le cas avec le projet de\u00a0Kirstin Neidlinger10<\/sup>. Ce col qui a servi de visuel \u00e0 l\u2019exposition\u00a0Futurotextiles<\/em>11<\/sup>, nomm\u00e9 Sensoree Pull Ger12<\/sup>\u00a0est r\u00e9alis\u00e9 \u00e0 partir de plastiques recycl\u00e9s, de coton, de lycra, de capteurs utilis\u00e9s pour les d\u00e9tecteurs de mensonge, de tissus conducteurs et de leds. De forme molle et arrondie, ce petit haut manche courte est un\u00a0 col r\u00e9v\u00e9lateur d\u2019humeur, qui d\u00e9tecte gr\u00e2ce \u00e0 des capteurs plac\u00e9s aux niveaux des poignets, le niveau d\u2019excitation de la personne et le retranscrit en couleurs pr\u00e9\u00e9tablies.<\/p>\n\n\n\n

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Sensoree Pull Ger, Kirstin Neidlinger, Cr\u00e9dit Photo : Sensoree\/ Roger Dyckmans<\/em><\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Le tissu blanc et l\u00e9g\u00e8rement opaque s\u2019anime \u00e0 la base du cou, au niveau du larynx, tel un collier de couleurs. Un collier futuriste  qui entrave les mouvements (les capteurs reli\u00e9s aux poignets et au col ne permettent pas une grande amplitude des mouvements) et nous soumets \u00e0 l\u2019exposition de nos \u00e9motions, sans l\u2019utilisation de la parole. <\/p>\n\n\n\n

R\u00e9v\u00e9lateur d\u2019humeur, ce col par sa dimension retrouve la fonction des fraises et collerettes d\u2019antan\u00a0:\u00a0 il r\u00e9v\u00e8le et encadre le visage, le met en lumi\u00e8re, comme un portrait d\u2019apparat au m\u00eame titre que ces v\u00eatements historiques \u00e0 collerettes et\u00a0 fraises. Mais ces propositions sont au-del\u00e0 du v\u00eatir. Paradoxalement, elles rendent visible et transparent, celui qui les porte. Ce tour de force est possible par une exposition aux yeux de tous de l\u2019extime13<\/sup>.<\/p>\n\n\n\n

Un cauchemar embl\u00e9matique et source d\u2019angoisse est de s\u2019imaginer nu dans une assembl\u00e9e. Ce d\u00e9sir d\u2019exhibition14<\/sup>\u00a0tr\u00e8s pr\u00e9sent dans ce design prospectif peut prendre diff\u00e9rentes formes\u00a0:\u00a0 v\u00eatues mais mis \u00e0 nu par un panel de couleur li\u00e9s \u00e0 nos \u00e9motions, ou d\u00e9voil\u00e9es, par un jeu de transparence et d\u2019opacit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Daan Roosegaarde15<\/sup>\u00a0lance en 2011 le projet\u00a0Intimacy afin \u00ab\u00a0d\u2019explorer les relations entre l\u2019intimit\u00e9 et la technologie\u00a0\u00bb et rentre dans cette deuxi\u00e8me cat\u00e9gorie. Fabriqu\u00e9e \u00e0 partir de rubans de cuir et d\u2019 \u00ab\u00a0e-textiles\u00a0\u00bb , Intimacy White\u00a0est une robe qui r\u00e9v\u00e8le l\u2019intimit\u00e9 en devenant transparente au fur et \u00e0 mesure que le c\u0153ur s\u2019emballe.<\/p>\n\n\n\n

\u00ab\u00a0La technologie utilis\u00e9e ici n\u2019est pas purement fonctionnelle mais sert d\u2019outil pour cr\u00e9er l\u2019intimit\u00e9 ou le secret \u00e0 un niveau personnel direct, ce qui devient de plus en plus important dans notre soci\u00e9t\u00e9 moderne et hi-tech16<\/sup>.\u00a0\u00bb<\/p>\n\n\n\n

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Intimacy White, Daan Roosegaarde, Cr\u00e9dit photo : Studio Roosegaarde<\/em><\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Ces proth\u00e8ses proposent non pas l\u2019incorporation dans le corps, mais \u00ab\u00a0l\u2019explantation\u00a0\u00bb du corps. Ce n\u2019est plus la limite corporelle qui est refond\u00e9e, mais son \u00e9tendue.La designeuse de mode\u00a0Anouk Wipprecht<\/em>\u00a0qui a travaill\u00e9 sur ce projet avec l\u2019aide du programmateur\u00a0Daniel Schatzmayr\u00a0, propose d\u2019autres variantes pour prot\u00e9ger notre sph\u00e8re intime et priv\u00e9e: une robe\u00a0smoke<\/em>.<\/p>\n\n\n\n

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Robe smoke , Anouk Wipprecht, Credit photo :Aduen Darriba\/ Anouck Wipprecht<\/em><\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Qui diffuse un \u00e9cran de fum\u00e9e pour nous prot\u00e9ger ou encore la\u00a0spider dress<\/em>\u00a0o\u00f9 des pattes d\u2019araign\u00e9e se d\u00e9ploient d\u00e8s qu\u2019elle sent une pr\u00e9sence proche. \u00ab\u00a0Les membres anim\u00e9s r\u00e9agissent aux mouvements alentour. Ils prennent vie si quelqu\u2019un s\u2019approche de trop pr\u00e8s. Dans un monde surpeupl\u00e9, le v\u00eatement questionne les notions de vie priv\u00e9e et de contr\u00f4le. L\u2019espace personnel de son propri\u00e9taire est s\u00e9curis\u00e9 et s\u2019\u00e9largit m\u00eame \u00e0 mesure que les pattes s\u2019\u00e9tendent dans les airs\u00a0<\/em>\u00bb.<\/p>\n\n\n\n

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Robe spider, Anouk Wipprecht, Credit photo :Aduen Darriba\/ Anouck Wipprecht<\/em><\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Encore une fois, le corps \u00e0 g\u00e9om\u00e9trie variable, \u00e9tend son p\u00e9rim\u00e8tre. Mais contrairement aux exemples pr\u00e9c\u00e9dents, le v\u00eatement n\u2019est plus une exposition de soi, mais une protection. Si cette barri\u00e8re se fait ici par une obstruction de la vue (la fum\u00e9e) ou par un d\u00e9ploiement d\u2019articulation m\u00e9canique zoomorphe, la lumi\u00e8re peut aussi jouer ce r\u00f4le.<\/p>\n\n\n\n

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