{"id":859,"date":"2017-11-01T17:50:53","date_gmt":"2017-11-01T17:50:53","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=859"},"modified":"2022-11-04T17:51:06","modified_gmt":"2022-11-04T17:51:06","slug":"novembre-2017-entrevue-avec-jean-dubois-deuxieme-partie","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/novembre-2017-entrevue-avec-jean-dubois-deuxieme-partie\/","title":{"rendered":"Novembre 2017 &#8211; Entrevue avec Jean Dubois (deuxi\u00e8me partie)"},"content":{"rendered":"\n<figure class=\"wp-block-embed aligncenter is-type-video is-provider-vimeo wp-block-embed-vimeo wp-embed-aspect-16-9 wp-has-aspect-ratio\"><div class=\"wp-block-embed__wrapper\">\n<iframe loading=\"lazy\" title=\"Tourmente by Jean Dubois\" src=\"https:\/\/player.vimeo.com\/video\/131366926?h=86b8c81133&amp;dnt=1&amp;app_id=122963\" width=\"500\" height=\"281\" frameborder=\"0\" allow=\"autoplay; fullscreen; picture-in-picture\" allowfullscreen><\/iframe>\n<\/div><figcaption class=\"wp-element-caption\">Tourmente, 2015<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n<p><strong>Andr\u00e9 \u00c9ric L\u00e9tourneau\u00a0:\u00a0Quand j\u2019observe tes \u0153uvres sur\u00a0ton site web\u00a0je constate une transformation dans celles r\u00e9alis\u00e9es entre 1997 et aujourd\u2019hui. J\u2019ai l\u2019impression qu\u2019elles sont de plus en plus immersives. Pas dans le sens technologique du terme \u2013 bien que d\u00e9j\u00e0\u00a0<em>Brainstorm<\/em>\u00a0de 2011 soit configur\u00e9 comme un environnement immersif \u2013 mais dans le sens qu\u2019on peut dire\u00a0<em>in socius<\/em>. Par exemple, dans la derni\u00e8re \u0153uvre,\u00a0<em>Tourmente,<\/em>\u00a0qui comprend un \u00e9cran dans l\u2019espace public, un spectateur peut faire varier l\u2019image \u00e0 partir de son cellulaire. Cela produit un sens qui d\u00e9passe m\u00eame la relation entre le t\u00e9l\u00e9phone, l\u2019usager et l\u2019image, mais englobe justement\u00a0 l\u2019espace public dans lequel l\u2019exp\u00e9rience est pr\u00e9sent\u00e9e. Dans ce sens-l\u00e0 c\u2019est une \u0153uvre vraiment immersive. Je trouve int\u00e9ressant de voir cette progression parce qu\u2019au d\u00e9part avec\u00a0<em>Zones franches<\/em>\u00a0et\u00a0<em>\u00c9gographie<\/em>, l\u2019usager se trouvait dans un rapport tactile avec les \u00e9crans, et cela jusqu\u2019\u00e0\u00a0<em>Les errances de l\u2019\u00e9cho<\/em>\u00a0en 2005, production dans laquelle tu utilisais un miroir interactif, un objet concret. Le son aussi \u00e9voque une forme d\u2019immersion dans ton travail. Cette forme d\u2019immersion se d\u00e9ploie dans le temps d\u2019abord avec les \u00e9crans, les projections, puis l\u2019effet d\u2019immersion englobe l\u2019environnement au complet \u00e0 mesure, que l\u2019\u0153uvre se d\u00e9ploie dans l\u2019espace public.<\/strong><\/p>\n\n\n\n<figure class=\"wp-block-embed aligncenter is-type-video is-provider-vimeo wp-block-embed-vimeo wp-embed-aspect-16-9 wp-has-aspect-ratio\"><div class=\"wp-block-embed__wrapper\">\n<iframe loading=\"lazy\" title=\"BrainStorm\" src=\"https:\/\/player.vimeo.com\/video\/66169578?h=1df50c4507&amp;dnt=1&amp;app_id=122963\" width=\"500\" height=\"281\" frameborder=\"0\" allow=\"autoplay; fullscreen; picture-in-picture\" allowfullscreen><\/iframe>\n<\/div><figcaption class=\"wp-element-caption\">Brainstorme, 2011<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n<p>Jean Dubois: C\u2019est bien observ\u00e9, d\u2019ailleurs je devrais mettre mon site web \u00e0 jour pour y ins\u00e9rer mon projet de maitrise qui est \u00e0 l\u2019origine de ces productions. Mais j&rsquo;y reviens avec des moyens technologiques diff\u00e9rents. Au d\u00e9but, je n\u2019avais pas les moyens, tant au niveau technologique que financier. L\u2019\u0153uvre que j\u2019avais faite \u00e0 l\u2019\u00e9poque \u00e9tait\u00a0<em>GODDOG<\/em>, une s\u00e9rie d\u2019interventions\u00a0<em>in situ<\/em>\u00a0qui reprenaient le palindrome\u00a0<em>GOD\/DOG<\/em>\u00a0et abordaient le rapport \u00e0 l\u2019espace public, c\u2019est-\u00e0-dire la fa\u00e7on DOG de l&rsquo;occuper par le graffiti et la fa\u00e7on GOD de le faire par la publicit\u00e9. J\u2019avais fait financer un panneau publicitaire qui annon\u00e7ait GOD. En dessous, la nuit suivante, j\u2019avais \u00e9crit clandestinement DOG avec une bombe a\u00e9rosol. Je m\u2019\u00e9tais amus\u00e9 \u00e0 jouer avec les deux registres politiques du discours.\u00a0<\/p>\n\n\n\n<p>J\u2019ai fait aussi une performance, dite immersive, dans une \u00e9glise m\u00e9di\u00e9vale \u00e0\u00a0Maastricht. J\u2019\u00e9tais en stage \u00e0 la\u00a0Jan Van Eyck Academy. On m&rsquo;avait invit\u00e9 \u00e0 participer \u00e0 une exposition de groupe avec tous les \u00e9tudiants. Tout le monde s\u2019\u00e9tait d\u00e9sist\u00e9 \u00e0 la derni\u00e8re minute. Sans le savoir j\u2019\u00e9tais le seul qui travaillait toujours \u00e0 ce projet. On m\u2019a alors propos\u00e9 de garder l\u2019\u00e9glise pour moi tout seul.<\/p>\n\n\n\n<p>Il a donc fallu que j\u2019invente quelque chose rapidement. Remplir une \u00e9glise m\u00e9di\u00e9vale avec aucun budget, ce n\u2019est pas \u00e9vident. Nous avions acc\u00e8s \u00e0 une imprimante lithographique. J\u2019ai imprim\u00e9 des affiches. J\u2019ai utilis\u00e9 des \u00e9l\u00e9ments d\u00e9coratifs que je pouvais imprimer sur du papier journal. J\u2019ai compl\u00e8tement red\u00e9cor\u00e9 l\u2019\u00e9glise avec un motif reprenant confus\u00e9ment GOD et DOG. On ne savait pas s&rsquo;il s&rsquo;agissait de DIEU ou de CHIEN. Cette \u00e9glise m\u00e9di\u00e9vale \u00e9tait d\u00e9sacralis\u00e9e. Elle servait d\u2019espace pour des activit\u00e9s foraines. Il y avait des raves pour gais et lesbiennes, des expositions d\u2019automobiles, la foire de No\u00ebl\u2026 Toutes sortes d\u2019\u00e9v\u00e9nements s\u2019y produisaient. Pour moi, Nord-Am\u00e9ricain, je trouvais cela compl\u00e8tement ahurissant. Je me disais&nbsp;: \u00abUne \u00e9glise m\u00e9di\u00e9vale qui sert \u00e0 faire n\u2019importe quoi&nbsp;!\u00bb puis j\u2019ai pens\u00e9&nbsp;: \u00ab En fait, elle est entre GOD et DOG. \u00bb J\u2019ai donc commenc\u00e9 \u00e0 en faire le lieu d\u2019une performance o\u00f9 j&rsquo;allais essayer d\u2019allumer deux mille bougies pour remplir l\u2019espace avant que la premi\u00e8re bougie ne s\u2019\u00e9teigne. En cas de r\u00e9ussite, je me proclamerais GOD. Si je ne r\u00e9ussissais pas, je resterais DOG. J\u2019avais tout pr\u00e9vu pour \u00e9chouer, naturellement. Cette performance avait eu un impact immersif pour certains qui m\u2019ont dit \u00ab&nbsp;Depuis cette exposition, j\u2019ai remarqu\u00e9 qu\u2019au plafond, il y avait des fresques. En temps normal, \u00e0 cause de l\u2019\u00e9clairage naturel, on ne voit jamais vraiment bien le plafond. Cette nuit-l\u00e0 avec tes deux mille bougies qui \u00e9clairaient de mani\u00e8re uniforme le plafond, on pouvait voir des choses qu\u2019on ne voyait pas auparavant.&nbsp;\u00bb&nbsp;Ce fut un accident int\u00e9ressant.&nbsp;Les gens qui \u00e9taient dans l\u2019\u00e9glise vivaient une exp\u00e9rience immersive. L\u2019\u00e9glise prenait un autre aspect. Le lieu redevenait plus sacr\u00e9 gr\u00e2ce aux bougies et la performance semblait \u00eatre celle d\u2019un \u00ab&nbsp;l\u2019artiste-pr\u00eatre&nbsp;\u00bb. Tout \u00e7a, en jouant avec une ambigu\u00eft\u00e9, en entrela\u00e7ant des mots pour cr\u00e9er une situation temporaire qui interrogeait \u00e0 la fois le statut traditionnel de cette \u00e9glise et son nouveau statut de centre d\u2019exposition et de centre communautaire, en fait d&rsquo;espace \u00e0 tout faire.<\/p>\n\n\n\n<p>Enfin, pour le troisi\u00e8me volet, j\u2019ai fabriqu\u00e9 des objets promotionnels que je mettais dans les boites aux lettres de 900 adresses de la rue Berri \u00e0 Montr\u00e9al. J&rsquo;y avais mis des cartes postales, des \u00e9chantillons de produits, des&nbsp;<em>flyers<\/em><em>GODDOG<\/em>. J&rsquo;y pla\u00e7ais moi m\u00eame les objets. Les gens m\u2019arr\u00eataient dans la rue pour me poser des questions. \u00ab&nbsp; \u00c7a fait trois jours que je re\u00e7ois ces affichettes, qu\u2019est-ce qui se passe&nbsp;?&nbsp;\u00bb Je r\u00e9pondais&nbsp;: \u00ab&nbsp;Moi madame, je suis pay\u00e9 \u00e0 l\u2019unit\u00e9, je ne fais que les donner&nbsp;\u00bb et je les laissais \u00e0 eux-m\u00eames avec leurs interrogations. Sur les produits&nbsp;<em>GODDOG<\/em>, il y avait une adresse de case postale et certaines personnes ont r\u00e9agi en r\u00e9pondant.<\/p>\n\n\n\n<figure class=\"wp-block-image aligncenter size-full\"><img loading=\"lazy\" decoding=\"async\" width=\"720\" height=\"540\" src=\"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-content\/uploads\/2022\/11\/dubois-5.jpeg\" alt=\"\" class=\"wp-image-860\" srcset=\"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-content\/uploads\/2022\/11\/dubois-5.jpeg 720w, https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-content\/uploads\/2022\/11\/dubois-5-300x225.jpeg 300w\" sizes=\"(max-width: 720px) 100vw, 720px\" \/><figcaption class=\"wp-element-caption\">\u00c9gographie, 1999<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n<p><strong>A.\u00a0\u00c9. L. :\u00a0Quel genre de commentaire recevais-tu\u00a0?<\/strong><\/p>\n\n\n\n<p>J. D. :&nbsp;Il y avait deux types de r\u00e9actions&nbsp;: une r\u00e9action anglophone et une r\u00e9action francophone.&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p><strong>A. \u00c9. L. :\u00a0Cela arrive parfois \u00e0 Montr\u00e9al\u00a0!<\/strong><\/p>\n\n\n\n<p>J. D. :&nbsp;Il faut comprendre que les mots GOD et DOG en fran\u00e7ais, n\u2019ont pas le m\u00eame impact \u00e9motif qu\u2019en fran\u00e7ais. Les anglophones r\u00e9agissaient assez durement, pas au fait que cela touchait le mot GOD. Ils r\u00e9agissaient plut\u00f4t au fait que les corporations&nbsp;<em>hackaient<\/em>&nbsp;leurs boites aux lettres. Ils r\u00e9agissaient \u00e0 l\u2019infiltration totalitaire de la publicit\u00e9 dans leur maison comme si leur la boite aux lettres \u00e9tait l&rsquo;orifice de leur intimit\u00e9. Revenant aux notions d\u2019intimit\u00e9 et d\u2019espace public, on peut dire que la boite aux lettres se trouve au seuil de l\u2019intimit\u00e9 (espace personnel) et de l\u2019espace public, (la rue).<\/p>\n\n\n\n<figure class=\"wp-block-embed aligncenter is-type-video is-provider-vimeo wp-block-embed-vimeo wp-embed-aspect-16-9 wp-has-aspect-ratio\"><div class=\"wp-block-embed__wrapper\">\n<iframe loading=\"lazy\" title=\"Zones franches (1997)\" src=\"https:\/\/player.vimeo.com\/video\/129922340?h=69949fd605&amp;dnt=1&amp;app_id=122963\" width=\"500\" height=\"281\" frameborder=\"0\" allow=\"autoplay; fullscreen; picture-in-picture\" allowfullscreen><\/iframe>\n<\/div><figcaption class=\"wp-element-caption\">Zones franches, 1997<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n<p><strong>A. \u00c9. L. : C\u2019\u00e9tait avant l\u2019apparition des courriels et des polluriels.<\/strong><\/p>\n\n\n\n<p>J. D. :&nbsp;En effet. Mais c\u2019est un peu la m\u00eame chose quand j&rsquo;utilise les panneaux publicitaires et les \u00e9crans lumineux urbains. Avec l&rsquo;infiltration des bo\u00eetes aux lettres, je voulais croiser l&rsquo;espace de l\u2019intimit\u00e9 avec celui de l\u2019espace public. Ouvrir un passage entre le sacr\u00e9 et le trivial.<\/p>\n\n\n\n<p><strong>A. \u00c9. L. : On se rapproche aussi du concept d\u2019artiste entreprise de\u00a0Iain Baxter.<\/strong><\/p>\n\n\n\n<p>J. D. :&nbsp;\u00c0 l\u2019\u00e9poque c\u2019\u00e9tait mon type de mod\u00e8le&nbsp;: un artiste conceptuel qui reprend des moyens de production industriels et qui essaie de les d\u00e9construire \u00e0 travers des usages absurdes.<\/p>\n\n\n\n<p>Lorsque j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 travailler avec le num\u00e9rique, il y avait tout \u00e0 apprendre. Je voulais essayer d\u2019appliquer la logique&nbsp;<em>GODDOG<\/em>&nbsp;aux \u00e9crans tactiles, ainsi les \u00e9crans devaient fonctionner comme de la peau. Ils pouvaient sentir qu\u2019on les touchaient. Cela impliquait alors une nouvelle \u00e9thique. Avec&nbsp;<em>Zones Franches<\/em>, par exemple, on ne regarde pas seulement le corps nu de quelqu\u2019un sur l\u2019\u00e9cran. On le touche et le corps r\u00e9agit.&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p>\u00c0 l\u2019\u00e9poque, j\u2019avais eu d&rsquo;ailleurs des probl\u00e8mes avec mes amies artistes f\u00e9minines qui me disaient&nbsp; \u00ab&nbsp;Tu n\u2019as pas le droit de travailler avec le corps f\u00e9minin.&nbsp;\u00bb Je me suis rendu compte que le fait de toucher un corps f\u00e9minin, de travailler avec un corps f\u00e9minin avait un impact politique. Ce n\u2019\u00e9tait pas juste une belle id\u00e9e, \u00e9voquer la peau avec la surface de l\u2019\u00e9cran. Je me suis obstin\u00e9 et je me suis dit&nbsp;: \u00ab&nbsp;Je vais le faire de fa\u00e7on \u00e0 ce que vous ne puissiez pas me reprocher, par la suite, de l\u2019avoir fait. \u00bb J\u2019ai fait quelque chose d\u2019assez, assez subtil, assez respectueux. C\u2019est assez prude. Je ne voulais pas en faire quelque chose de pornographique ou quelque chose qui r\u00e9ifiait la femme, la voyant comme un territoire \u00e0 occuper. C\u2019\u00e9taient des questions qui \u00e9taient soulev\u00e9es. Une fois l&rsquo;oeuvre termin\u00e9e, ce probl\u00e8me d&rsquo;\u00e9thique a sembl\u00e9 s&rsquo;estomper. Personne n\u2019est revenu avec cette critique. \u00c0 ce sujet il y eut encore un quiproquo anglais\/fran\u00e7ais : On m\u2019avait invit\u00e9 \u00e0 faire partie d\u2019une exposition f\u00e9ministe anglophone. Parce qu\u2019on pensait que \u00ab<em>Jean<\/em>\u00bb,&nbsp;<em>Jean<\/em>&nbsp;Dubois \u00e9tait une femme. On m\u2019avait invit\u00e9, car on avait per\u00e7u cette \u0153uvre comme un travail f\u00e9ministe. Lorsque je me suis rendu \u00e0 la rencontre avec les organisatrices, elles ont vu que j\u2019\u00e9tais un homme. Je leur ai dit \u00ab&nbsp;Ben, mon nom ce n\u2019est pas&nbsp;<em>Jean<\/em>, c\u2019est Jean.&nbsp;\u00bb Elles m\u2019ont r\u00e9pondu : \u00ab&nbsp;Finalement, \u00e7a ne marche pas. Tu ne pourras pas \u00eatre dans l\u2019exposition.&nbsp;\u00bb<\/p>\n\n\n\n<p><strong>A. \u00c9. L. : La m\u00eame \u0153uvre n\u2019avait plus le m\u00eame sens.<\/strong><\/p>\n\n\n\n<p>J. D. :&nbsp;Je m&rsquo;\u00e9tais rendu compte que l\u2019intentionnalit\u00e9 \u00e9tait per\u00e7ue diff\u00e9remment. L\u2019objet est le m\u00eame, mais le discours diff\u00e9rent, d\u00e9pendant si l\u2019auteur est un homme ou une femme. Mais finalement est-ce que l\u2019objet est diff\u00e9rent&nbsp;?&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p><strong>A. \u00c9. L.\u00a0:\u00a0Comme par exemple, la lecture d\u2019une \u0153uvre change si on la place dans un mus\u00e9e ou au milieu de la rue Sainte-Catherine.<\/strong>\u00a0<\/p>\n\n\n\n<p>J. D.\u00a0:\u00a0Je dois dire que je me suis retrouv\u00e9 dans la situation inverse \u00e0 celle de\u00a0George Sand. Quand je pense \u00e0 cette \u0153uvre, je pense \u00e0 la notion de limite et cela me fait penser \u00e0 d\u2019autres \u0153uvres\u00a0: par exemple, au travail de Dominic Gagnon et de son film\u00a0<em>Of the North<\/em>. S\u2019il avait \u00e9t\u00e9 fait par un Inuit, il aurait \u00e9t\u00e9 per\u00e7u compl\u00e8tement diff\u00e9remment. Mais parce que le r\u00e9alisateur est un blanc, le film a \u00e9t\u00e9 per\u00e7u comme compl\u00e8tement condescendant et m\u00eame m\u00e9prisant. Mais si un Inuit l\u2019avait r\u00e9alis\u00e9. On aurait dit : \u00ab Il travaille pour sa soci\u00e9t\u00e9, pour montrer qu\u2019il y a des probl\u00e8mes sociaux et qu\u2019il faut agir. \u00bb\u00a0<\/p>\n\n\n\n<p><strong>A. \u00c9. L. : Oui et peut-\u00eatre m\u00eame que\u00a0Tanya Tagaq\u00a0lui aurait laiss\u00e9 les droits d\u2019utiliser son chant du d\u00e9but du film\u00a0! En fait la pol\u00e9mique a commenc\u00e9 \u00e0 propos de cela.<\/strong><\/p>\n\n\n\n<p>J. D. :&nbsp;Au d\u00e9but c\u2019\u00e9tait un probl\u00e8me d\u2019\u00e9thique artistique, la chanteuse lui a dit&nbsp;: \u00abTu as utilis\u00e9 mon travail \u00e0 tes propres fins\u00bb. Et cela est devenu un probl\u00e8me d\u2019\u00e9thique politique par la suite. Il y avait ainsi deux probl\u00e8mes. Le num\u00e9rique cr\u00e9e peut-\u00eatre des ambigu\u00eft\u00e9s de ce genre. Les auteurs sont souvent absent du lieu de diffusion et donc plus distants. On ne les voit pas autant que, par exemple, en litt\u00e9rature o\u00f9 la photo de l\u2019\u00e9crivain est pr\u00e9sente. Dans le monde num\u00e9rique, temps, on ne sait pas qui est vraiment l\u2019artiste. Est-ce que c\u2019est un blogueur&nbsp;? Un journaliste&nbsp;? Qui fait quoi&nbsp;? Il y a beaucoup de substitutions d\u2019identit\u00e9. Il y a en plus des gens qui ont des identit\u00e9s multiples sur Internet. Je ne sais pas si cela est la cause, mais l\u2019intentionnalit\u00e9 est vue diff\u00e9remment. Il peut y avoir des incompr\u00e9hensions car parfois on sait pas \u00e0 qui on s\u2019adresse. Surtout dans un Internet globalis\u00e9 o\u00f9 les langages \u00e9trangers ne donnent pas d\u2019indices sur la nature des r\u00e9f\u00e9rences culturelles. Par exemple, en lisant un nom de famille en Inde, je ne sais pas de quelle caste il provient. Est-ce que c\u2019est un homme ou une femme&nbsp;? De quelle r\u00e9gion vient-il ? Je n\u2019en ai aucune d\u2019id\u00e9e&nbsp;: c&rsquo;est un nom, une forme. Cela peut cr\u00e9er des quiproquos au sujet de l\u2019intentionnalit\u00e9. Le filtre du num\u00e9rique peut permettre ce genre de distance qui cr\u00e9e un flou, comme c\u2019est arriv\u00e9 pour moi avec mon pr\u00e9nom Jean qui a \u00e9t\u00e9 interpr\u00e9t\u00e9 comme&nbsp;<em>Jean<\/em>&nbsp;pr\u00e9nom f\u00e9minin en anglais, dans le cas d\u2019une exposition exclusivement faite par des femmes.<\/p>\n\n\n\n<p><strong>A. \u00c9. L. :\u00a0Le cadre est tr\u00e8s d\u00e9terminant dans la lecture de l\u2019\u0153uvre. Plusieurs artistes, dont le plus c\u00e9l\u00e8bre est sans doute Duchamp, l\u2019ont bien d\u00e9montr\u00e9.<\/strong>\u00a0<\/p>\n\n\n\n<p>J. D. :\u00a0Oui cela nous ram\u00e8ne \u00e0 la pragmatique, \u00e0 tous les jeux de langage de\u00a0Wittgenstein, ou \u00e0 la vision pragmatique en linguistique o\u00f9 les conditions de parole sont extr\u00eamement importantes dans le d\u00e9codage du langage.\u00a0<\/p>\n\n\n\n<p><strong>A. \u00c9. L. :\u00a0Je pense \u00e0 cet artiste qui s\u2019appelle\u00a0Benjamin Bennett\u00a0et qui a fait une s\u00e9rie de vid\u00e9os sur Internet qui s\u2019appelle\u00a0<em>Sitting And Smiling<\/em>, o\u00f9 il regarde la cam\u00e9ra assise en position de m\u00e9ditation en souriant sans arr\u00eat pendant quatre heures. Il a fait plus de deux cents films de quatre heures film\u00e9s en temps r\u00e9el \u00e0 partir du \u00ab\u00a0streaming\u00a0\u00bb. Au d\u00e9part, les internautes se posaient la m\u00eame question \u00ab\u00a0Est-ce que c\u2019est quelqu\u2019un qui a des troubles de la personnalit\u00e9\u00a0et qui trouve du temps pour faire cela? Ou est-ce une approche spirituelle d\u2019une secte nouvelle\u00a0? Ou finalement, est-ce que c\u2019est un artiste de performance\u00a0?\u00a0\u00bb Puis, quand on lit l\u2019entretien qui lui a \u00e9t\u00e9 consacr\u00e9 par\u00a0<em>Vice<\/em>\u00a0apr\u00e8s un an ou deux de pratique, on s\u2019aper\u00e7oit qu\u2019il sait tr\u00e8s bien d\u2019o\u00f9 il vient artistiquement, et qu\u2019il fait cette action en donnant le moins d\u2019indications possible sur ses intentions, que ce soit sur son site et sur YouTube. \u00c0 un moment donn\u00e9 il d\u00e9clare \u00e0\u00a0<em>Vice<\/em>\u00a0que Tehching Hsieh &lt;\u00a0http:\/\/www.tehchinghsieh.com\/ > a \u00e9t\u00e9 probablement son inspiration. Bien qu\u2019il d\u00e9clare \u00eatre moins extr\u00eame que lui qui est rest\u00e9 un an dans la rue sans jamais rentrer nulle part , puis un an dans une cage sans parler, ou attach\u00e9 sans arr\u00eat pendant un an \u00e0 Linda Montano, etc. Dans ce sens-l\u00e0 c\u2019est int\u00e9ressant d\u2019observer \u00e0 quel point des \u0153uvres d\u00e9contextualis\u00e9es peuvent \u00eatre per\u00e7ues. Par contre, j\u2019ai l\u2019impression que tes \u0153uvres en g\u00e9n\u00e9ral sont assez contextualis\u00e9es, \u00e0 part peut-\u00eatre\u00a0<em>GODDOG<\/em>.<\/strong><\/p>\n\n\n\n<p>J. D. :&nbsp;Ce travail \u00e9tait plus direct. Voir mes oeuvres sur un \u00e9cran de laptop, \u00e7a ne fonctionnerait pas, de plus on n\u2019a pas le m\u00eame type d\u2019intimit\u00e9 quand on les voit chez soi. Le changement d\u2019\u00e9chelle est aussi tr\u00e8s important. Il faut vraiment p\u00e9n\u00e9trer l\u2019espace public ou&nbsp;<em>hacker<\/em>&nbsp;Internet. Dans le cas de&nbsp;<em>Tourmente<\/em>&nbsp;ou de&nbsp;<em>\u00c0 port\u00e9e de souffle<\/em>, nous avons mobilis\u00e9 des techniques qui permettent d\u2019op\u00e9rer sans utiliser des technologies \u00ab d\u2019avant-garde&nbsp;\u00bb. On est rest\u00e9 dans l\u2019analogique avec le moins de traitement num\u00e9rique possible. On a capt\u00e9 le son&nbsp;\u00e0 partir de t\u00e9l\u00e9phones cellulaires comme si c&rsquo;\u00e9tait simplement des micros sans fils. On a ensuite utilis\u00e9 un algorithme qui essaie de distinguer le souffle des autres sons, fiable \u00e0 80%, mais c&rsquo;est suffisant pour que les gens suivent et comprennent. C\u2019est \u00e9tonnant de voir comment les gens suivent les instructions qu\u2019on leur demande, et cela avec plaisir. Certains le font sans m\u00eame se connecter \u00e0 un wifi. Des fois, ils ont de la difficult\u00e9 mais vont tout tenter pour r\u00e9ussir.<\/p>\n\n\n\n<p><strong>A. \u00c9. L. : C\u2019est\u00a0 int\u00e9ressant que tu dises que c\u2019est tr\u00e8s analogique comme technologie. On parle souvent d\u2019 \u00abart num\u00e9rique\u00bb je m\u2019interroge \u00e0 ce propos, car dans plusieurs cas les trois quarts d\u2019un dispositif sont analogiques. Une certaine partie des machines seulement est num\u00e9rique. Cette d\u00e9nomination d\u2019art num\u00e9rique est un peu \u00e9trange.<\/strong><\/p>\n\n\n\n<p>J. D. : Le num\u00e9rique, c\u2019est juste une fa\u00e7on de nous expliquer les \u00e9tats \u00e9lectroniques dans une machine. L\u2019ordinateur g\u00e8re de l\u2019\u00e9lectricit\u00e9. Il ne g\u00e8re pas des nombres en fin de compte. Le z\u00e9ro puis le un, \u00e7a nous dit simplement que l\u2019\u00e9lectricit\u00e9 passe, ou ne passe pas dans certains circuits. C\u2019est une repr\u00e9sentation humaine, simplifi\u00e9e. Tout ce qui est art num\u00e9rique, c\u2019est de l\u2019art \u00e9lectronique qui a \u00e9t\u00e9 soumis \u00e0 une phase de d\u00e9veloppement suppl\u00e9mentaire. Il est important de ne pas faire de rupture entre ce qu\u2019on pourrait appeler le monde analogique et le monde num\u00e9rique. C\u2019est simplement une question de convention technologique.&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p><strong>A. \u00c9. L.\u00a0 :\u00a0D\u2019autant plus que tu inscris ta pratique, comme tu le disais au d\u00e9but de l\u2019entretien, dans les arts visuels. Tu ne dis pas faire des \u00abarts technologiques\u00bb.\u00a0<\/strong><\/p>\n\n\n\n<p>J. D. :&nbsp;Je suis en arts visuels, sp\u00e9cialis\u00e9 en arts m\u00e9diatiques. Quand j\u2019ai fait&nbsp;<em>Zones franches<\/em>, ce n&rsquo;\u00e9tait qu&rsquo;un projet parmi d&rsquo;autres. Je ne voulais pas devenir un \u00abartiste num\u00e9rique\u00bb. Je visais simplement \u00e0 faire une \u0153uvre avec un \u00e9cran tactile.&nbsp;&nbsp;Je voulais r\u00e9fl\u00e9chir en tant qu\u2019artiste visuel \u00e0 l\u2019impact du toucher dans la relation \u00e0 l\u2019image. Je voulais ensuite faire d\u2019autre chose, quel que soit le m\u00e9dium.<\/p>\n\n\n\n<p>Cela dit, en 1996, cela m&rsquo;a fait reconna\u00eetre dans le milieu de l\u2019art. \u00c0 l&rsquo;\u00e9poque, tout le monde cherchait de l\u2019art technologique. Entre 1996 et 2000, je n\u2019ai pas fait de demandes d\u2019exposition. On me suivait et on me demandait d\u2019en faire encore. C\u2019est presque encore le m\u00eame cas aujourd\u2019hui. C\u2019est \u00e9tonnant de voir comment cela a pu faciliter ma \u00abcarri\u00e8re artistique\u00bb. J\u2019\u00e9tais l\u00e0 au bon moment, au bon endroit, \u00e0 la bonne \u00e9poque, en utilisant les bons outils. \u00ab \u00catre de son \u00e9poque\u00bb, c\u2019est ce que je disais au d\u00e9but. Si demain matin, un autre mod\u00e8le de transmission de l\u2019information apparaissait, peut-\u00eatre que j&rsquo; \u00e9voluerais vers cela.&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p>Ce qui m&rsquo;int\u00e9resse actuellement dans les productions en art num\u00e9rique c\u2019est le travail en collaboration et la fin de l\u2019image de l\u2019artiste individuel bas\u00e9e sur le \u00ab&nbsp;g\u00e9nie personnel&nbsp;\u00bb. D\u2019ailleurs mes projets ont presque toujours \u00e9t\u00e9 r\u00e9alis\u00e9s en collaboration.<\/p>\n\n\n\n<p><strong>A. \u00c9. L. :\u00a0Notamment avec Lynn Hughes dans le collectif\u00a0<em>Interstice<\/em>s.<\/strong><\/p>\n\n\n\n<p>J. D. :&nbsp;Et cela pendant plusieurs ann\u00e9es. Pour moi l\u2019interstice, se trouve \u00e0 l\u2019oppos\u00e9 de l\u2019interface. C\u2019est une zone vide&nbsp;&nbsp;sans contact. Les interfaces existent pour combler les interstices. L\u2019interface est un dispositif qui permet \u00e0 deux choses h\u00e9t\u00e9rog\u00e8nes de rentrer en relation.&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p>Revenant \u00e0 la notion rencontre et d\u2019interface. On peut dire que l\u2019interface est un dispositif qui permet la rencontre. Avec lynn on s\u2019\u00e9tait dit : \u00ab Si on veut faire des interfaces, il faut r\u00e9fl\u00e9chir aux interstices\u00bb et on se demandait \u00ab Qu\u2019est-ce qui nous irrite avec le num\u00e9rique : le clavier, la souris et les maux de dos que le travail sur ordinateur provoque&nbsp;! On ne peut interagir avec le num\u00e9rique sans utiliser ces interfaces. On va faire des installations ou inventer des interfaces corporelles.\u00bb Lynn a travaill\u00e9 avec le biofeedback. Moi, avec le toucher. D\u2019autres artistes ont travaill\u00e9 avec les rayons infrarouges pour d\u00e9tecter les positions des gens, le mouvement, m\u00eame les vibrations sonores. Manon de Pauw avait utilis\u00e9 les sons \u00e9mis lorsque l\u2019on dessine sur une table. Elle les a pris et utilis\u00e9s comme interface pour animer des vid\u00e9os. \u00c0 mesure que l\u2019on dessinait, les vid\u00e9os changeaient ce qui&nbsp; \u00e9tait projet\u00e9 sur les feuilles. Il se cr\u00e9ait des boucles de r\u00e9troaction int\u00e9ressantes.&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p>L\u2019enjeu du num\u00e9rique aujourd\u2019hui, c\u2019est de cr\u00e9er de nouveaux rapports sociaux et pas seulement de transformer l\u2019information. Les m\u00e9dias sociaux ont produit une autre grande transformation. C\u2019est-\u00e0-dire que l&rsquo;on peut communiquer entre nous, puis on peut cr\u00e9er des outils entre nous car on trouve que Facebook est un peu totalitaire. Si on cherchait un autre r\u00e9seau, est-ce que l\u2019on trouverait d\u2019autres moyens de collaborer de mani\u00e8re plus parall\u00e8le et moins hi\u00e9rarchique entre artistes et spectateurs\u00a0? Est-ce que l\u2019on pourrait cocr\u00e9er des choses\u00a0? En fait, je n\u2019aime pas beaucoup l&rsquo;id\u00e9e de \u00ab\u00a0cocr\u00e9er \u00bb, je cherche davantage \u00e0 coop\u00e9rer comme je l\u2019ai fait avec mon coll\u00e8gue\u00a0Ghyslain Gagnon\u00a0de l\u2019\u00c9TS. Nous avions pr\u00e9vu faire une projection un peu \u00e0 la mani\u00e8re de\u00a0<em>Tourmente<\/em>\u00a0pour le 40<sup>e<\/sup>\u00a0anniversaire de l\u2019\u00c9TS, mais les fonds \u00e9taient insuffisants. Un peu par hasard, nous avions ensuite assist\u00e9 \u00e0 une r\u00e9union o\u00f9 il s&rsquo;agissait de refaire l\u2019\u00e9clairage d\u2019un souterrain entre les deux immeubles de l\u2019\u00c9TS. Nous avons profit\u00e9 de la combinaison de ce budget avec ce que l&rsquo;on avait d\u00e9j\u00e0 afin de r\u00e9aliser une installation qui servirait \u00e0 la fois d\u2019\u00e9clairage et d&rsquo;\u0153uvre d\u2019art.\u00a0\u00bb<\/p>\n\n\n\n<p><strong>A. \u00c9. L.\u00a0 : Ce n\u2019\u00e9tait pas un programme officiel du 1% d\u2019\u0153uvre publique ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n<p>J. D. :&nbsp;Cela \u00e9mergeait de la collaboration. Ce n\u2019\u00e9tait pas une commande. Nous \u00e9tions invit\u00e9s pour \u00ab brainstormer \u00bb sur un autre probl\u00e8me qui ne nous concernait pas directement. Finalement, nous avons saisi l&rsquo;occasion en jumelant ce budget au n\u00f4tre pour faire quelque chose plus original. Pas seulement de l\u2019\u00e9clairage, pas juste une \u0153uvre mais une int\u00e9gration des deux.&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p>Le lieu vis\u00e9 \u00e9tait un tunnel de service avec des tuyaux d\u2019a\u00e9ration. Un endroit compl\u00e8tement ingrat et tr\u00e8s laid o\u00f9 faire de l\u2019art finalement. Ce n\u2019\u00e9tait s\u00fbrement pas en y accrochant des tableaux qu\u2019on l\u2019aurait rendu plus beau. Il s&rsquo;agissait aussi d&rsquo;inciter les \u00e9tudiants \u00e0 passer par ce tunnel plut\u00f4t que de traverser la rue Notre-Dame qui est dangereuse d\u2019acc\u00e8s. On a observ\u00e9 ce qui s&rsquo;y passait : les gens passaient, revenaient. Cela cr\u00e9ait un circuit de flux d\u2019humains, un circuit de flux d\u2019\u00e9lectricit\u00e9. Il y avait des tuyaux \u00e9lectriques, des tuyaux d\u2019air, des tuyaux probablement destin\u00e9s au transport de liquides. On s\u2019est dit : \u00ab Pourquoi ne pas ajouter d&rsquo;autres tuyaux pour voir les flux que l\u2019on imagine se transposer en lumi\u00e8re&nbsp;?\u00bb On a ajout\u00e9 une sorte de syst\u00e8me de \u00ab&nbsp;plomberie \u00bb lumineuse interactive que l\u2019on pouvait animer par le souffle. On y a utilis\u00e9 des mat\u00e9riaux bruts, des boites \u00e9lectriques, des joints en m\u00e9tal. On a emprunt\u00e9 le m\u00eame vocabulaire que les plombiers et que les \u00e9lectriciens. On a m\u00eame fait installer le dispositif par des \u00e9lectriciens avec leur propre mat\u00e9riel afin que cela soit fait professionellement \u00e0 la mani\u00e8re traditionnelle des \u00e9lectriciens avec juste quelques petites contraintes formelles pour rendre cela attrayant. Il y avait d\u00e9j\u00e0 d\u2019autres tuyaux qui devenaient esth\u00e9tiques \u00e0 partir du moment o\u00f9 on ajoutait les n\u00f4tres. Ce lieu compl\u00e8tement ingrat pour l\u2019art s\u2019est transform\u00e9 en exploitant sa propre \u00ab&nbsp;beaut\u00e9 \u00bb. On a r\u00e9v\u00e9l\u00e9 les qualit\u00e9s esth\u00e9tiques du lieu en ajoutant, plut\u00f4t qu\u2019en enlevant des tuyaux. Cela a cr\u00e9\u00e9 une dynamique int\u00e9ressante sur le plan formel. C\u2019\u00e9tait vraiment logique avec les types de flux d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9sents dans cet espace. Les \u00e9tudiants venaient nous voir en disant \u00ab&nbsp;C\u2019est la premi\u00e8re \u0153uvre publique qu\u2019on a dans l\u2019\u00e9cole avec laquelle on se reconna\u00eet&nbsp;!&nbsp;\u00bb Il faut dire qu\u2019elle a \u00e9t\u00e9 fabriqu\u00e9e en partie avec des \u00e9tudiants. Nous l&rsquo;avons ainsi sign\u00e9 \u00e0 plusieurs, ce qui n\u2019est pas habituel dans le milieu de l\u2019art o\u00f9 l\u2019artiste, m\u00eame s\u2019il y a des collaborateurs, signe individuellement. On oublie trop souvent que, dans les romans par exemple, il y a beaucoup de gens autre que l\u2019auteur qui interviennent. Souvent, les romans sont bons \u00e0 cause du travail de l\u2019\u00e9diteur, parfois plus que celui de l\u2019\u00e9crivain, mais personne ne le sait. En arts visuels aussi, les peintres travaillent avec beaucoup de collaborateurs. Mais c\u2019est le peintre qui signe. Certains peintres ne touchent m\u00eame plus un pinceau mais ils signent leurs \u0153uvres. On pense \u00e0 Molinari qui \u00e9tait un grand peintre, mais qui faisait faire ses tableaux de A \u00e0 Z par des assistants. Il envoyait des dessins et des pots de peinture pour les faire r\u00e9aliser sur un canevas.&nbsp; \u00c0 plus forte raison dans notre cas, il fallait signer ensemble, avec tous ceux qui ont cr\u00e9\u00e9, tous ceux qui ont eu des id\u00e9es, comme s&rsquo;il s&rsquo;agissait d&rsquo;un article scientifique. J\u2019avais d\u2019ailleurs sign\u00e9 un article scientifique avec eux puisque je leur avais donn\u00e9 l\u2019occasion d&rsquo;\u00e9crire sur la reconnaissance de forme. Si je pouvais \u00eatre signataire de l&rsquo;article scientifique, ils pouvaient aussi \u00eatre signataires de l\u2019\u0153uvre d\u2019art. Nous avons jou\u00e9 avec cette logique.&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p>L&rsquo;oeuvre produite s&rsquo;intitule\u00a0<em>Le circuit de Bachelard<\/em>\u00a0puisque\u00a0Bachelard\u00a0a travaill\u00e9 sur la po\u00e9tique et sur l\u2019\u00e9pist\u00e9mologie. C\u2019est un grand penseur philosophique qui s\u2019est int\u00e9ress\u00e9 autant \u00e0 la pens\u00e9e imaginative qu\u2019\u00e0 la pens\u00e9e rationnelle et il savait illustrer que l&rsquo;on peut fonctionner avec ces deux types de r\u00e9flexion.\u00a0<\/p>\n\n\n\n<p>A. \u00c9. L. :\u00a0Il est toujours possible d\u2019aller voir ces \u0153uvres sous les immeubles de l\u2019\u00c9TS, au coin Notre-Dame et Peel \u00e0 Montr\u00e9al ou encore s\u00e0 l\u2019adresse\u00a0www.jeandubois.info.<\/p>\n\n\n\n<figure class=\"wp-block-embed aligncenter is-type-video is-provider-vimeo wp-block-embed-vimeo wp-embed-aspect-16-9 wp-has-aspect-ratio\"><div class=\"wp-block-embed__wrapper\">\n<iframe loading=\"lazy\" title=\"Le Circuit de Bachelard\" src=\"https:\/\/player.vimeo.com\/video\/214071500?h=788f69e510&amp;dnt=1&amp;app_id=122963\" width=\"500\" height=\"281\" frameborder=\"0\" allow=\"autoplay; fullscreen; picture-in-picture\" allowfullscreen><\/iframe>\n<\/div><figcaption class=\"wp-element-caption\">Le circuit de Bachelard, 2014<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n<figure class=\"wp-block-embed aligncenter is-type-video is-provider-vimeo wp-block-embed-vimeo wp-embed-aspect-16-9 wp-has-aspect-ratio\"><div class=\"wp-block-embed__wrapper\">\n<iframe loading=\"lazy\" title=\"Le Circuit de Bachelard - version sp&amp;eacute;ciale pour la Nuit blanche 2015\" src=\"https:\/\/player.vimeo.com\/video\/214072425?h=be9d362a29&amp;dnt=1&amp;app_id=122963\" width=\"500\" height=\"281\" frameborder=\"0\" allow=\"autoplay; fullscreen; picture-in-picture\" allowfullscreen><\/iframe>\n<\/div><figcaption class=\"wp-element-caption\">Le circuit de Bachelard, 2014<\/figcaption><\/figure>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"<p>Andr\u00e9 \u00c9ric L\u00e9tourneau\u00a0:\u00a0Quand j\u2019observe tes \u0153uvres sur\u00a0ton site web\u00a0je constate une transformation dans celles r\u00e9alis\u00e9es entre 1997 et aujourd\u2019hui. J\u2019ai l\u2019impression qu\u2019elles sont de plus en plus immersives. 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